Développement

Calmy-Rey défend à nouveau le Kosovo

"Je ne regrette pas cet engagement. Pas du tout. Parce que je pense que le chemin vers l’indépendance du Kosovo qui a été fait est correct, contrairement à la Crimée"

Julien Magnollay, journaliste de la RTS, a réalisé une interview avec Mme Micheline Calmy-Rey, il  lui a d’abord demandé si au vu de la situation difficile qui régnait dans le pays, elle pensait aujourd’hui que l’indépendance du Kosovo était une erreur?

L’interview commence par une description sombre de la situation au Kosovo.  Il y a sept ans jours pour jour, le 17 février 2008, le Kosovo proclamait son indépendance. Aujourd’hui, ce pays que l’on a surnommé le 27e canton suisse, à cause du nombre de Kosovars qui vivent en Suisse, va mal. Corruption des élites, taux de chômage touchant plus de la moitié de la population: depuis le début 2015, 50’000 Kosovars auraient quitté le pays, soit près de 3% de sa population. A l’époque, l’ancienne conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey s’était beaucoup battue pour l’indépendance du Kosovo qu’elle avait reconnu très vite.

Micheline Calmy-Rey: Ce n’était en tout cas pas une erreur. Le 17 février 2008 je me trouvais à Wil à l’est de la Suisse. J’avais rendez-vous à la Mission catholique albanaise pour assister à une messe et j’ai été reçue, à ma descente du train, par un Curée en larmes qui m’a dit : C’est aujourd’hui que le Kosovo a été déclaré indépendant. Madame vous êtes là, c’est comme un signe du ciel. Et d’ailleurs, je n’ai jamais pu convaincre mes collègues du Conseil fédéral que je n’avais pas moi-même décidé de la date de la déclaration d’indépendance du Kosovo. Tellement la coïncidence était grande.

Ça c’était pour hier, mais aujourd’hui sept ans plus tard, le taux de chômage est très élevé, il y a un exode massif. Vous pensez toujours la même chose ? Ce n’était pas une erreur ?

Micheline Calmy-Rey: L’indépendance du Kosovo n’était pas le faite d’une décision individuelle, c’était le fait d’un long processus, qui a été organisé par les Nation unies et qui a abouti à la déclaration d’indépendance du Kosovo. Ce n’était pas une erreur pour le peuple du Kosovo qui avait beaucoup souffert, et qui avait été l’objet de violences et pour qui la déclaration d’indépendance était la garantie d’une certaine liberté.

Vous vous êtes beaucoup engagée pour le Kosovo. Vous étiez la deuxième ministre des affaires étrangères à vous rendre à Prishtina après la déclaration d’indépendance. Est-ce que rétrospectivement, au vu de l’état dans lequel se trouve le pays, vous regrettez cet engagement ?
Micheline Calmy-Rey: Je ne regrette pas cet engagement. Pas du tout. Parce que je pense que le chemin vers l’indépendance qui a été fait est correct, contrairement à la Crimée d’ailleurs. L’indépendance du Kosovo est le résultat d’un long processus à l’intérieur des Nations unies, alors que pour la Crimée par exemple, l’affaire s’est faite manu militari sans tenir compte d’un processus international quel qu’il soit.

La Russie était clairement opposée à l’Indépendance du Kosovo. Elle rappelle souvent, lorsqu’on la critique pour ses interventions que ce soit en Ossétie, plus récemment en Ukraine. Est-ce que cette reconnaissance du Kosovo n’a pas créé un dangereux précédent ?

Micheline Calmy-Rey: La Cour de justice en a jugé autrement. Le Président Poutine s’était opposé à l’indépendance du Kosovo, après il a manifestement changé d’avis, puisqu’il a repris les arguments pour justifier l’annexion de la Crimée. Sauf que, encore fois, il n’est pas passé par tout le processus des Nations unies qui a abouti à la déclaration de l’indépendance du Kosovo. Le chemin vers l’indépendance du Kosovo nous a peut-être évité une situation comme celle que l’on connait maintenant en Ukraine.

En même temps. Quand on regarde la réalité, un taux de chômage élevé au Kosovo, un exode massif…Est-ce que ce n’est pas, sept ans après, un échec ?

Micheline Calmy-Rey: Ce qui est un échec, c’est la manière dont est géré ce pays. L’indépendance du Kosovo n’est pas un blanc-seing délivré à un gouvernement élu du Kosovo. Ces gens-là doivent maintenant répondre de leur gestion devant leurs habitants et devant la Communauté internationale qui les a soutenus et qui les a portés vers l’indépendance. En élisant un gouvernement, les Kosovars ont désigné des responsables, et ces responsables doivent être mis en cause. Ils ont des comptes à rendre devant leur population et la Communauté internationale. Et si c’est du grand n’importe quoi, ils ont des comptes à rendre.

Vous pensez que la Suisse qui compte plus de 200’000 Kosovars – il y a aussi des stars qui sont nés de cette immigration, on pense au footballeur Shaqiri-, est-ce que vous pensez que la Suisse devrait en faire d’avantage ?

Micheline Calmy-Rey: Je ne sais pas si la Suisse devrait en faire d’avantage. Mais je pense que le Communauté internationale, EULEX et l’UE qui est très impliquée au Kosovo devraient peut-être changer de méthode avec Kosovo, et veiller à ce que ce pays fonctionne différemment.

Changer de méthode ? C’est-à-dire ?

Micheline Calmy-Rey: L’UE est en train de négocier l’entrée de la Serbie en UE, quelque part la question du Kosovo est dans le sillage de ces négociations et notamment les relations de la Serbie avec le Kosovo. Je pense qu’il y a là matière à ce que l’UE se montre beaucoup plus sévère et stricte avec la façon dont fonctionnent aujourd’hui le Kosovo et les relations entre Serbes et Kosovars, parce que cela fait aussi partie du problème.

Retranscription de l’interview réalisée par albinfo.ch