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L’opération Papyrus une avancée historique pour la politique migratoire Suisse

Le 21 février 2017, le Conseil d’Etat genevois a annoncé, lors d’une conférence de presse, le lancement de l’opération Papyrus qui offre la possibilité à des milliers de travailleurs clandestins de régulariser leur situation. Nous avons contacté Thierry Horner, secrétaire syndical de Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs à Genève (SIT) pour qu’il nous éclaire sur l’origine de ce projet et les démarches à entreprendre par les personnes concernées.

Qu’est-ce que c’est l’opération Papyrus ?

Thierry H. : L’opération Papyrus fixe des critères simples et objectifs pour la régularisation de travailleuses et travailleurs, sans statut légal, mais bien intégrés dans le canton. Elle concerne plusieurs milliers de personnes, dont une majorité de familles, qui pourront déposer une demande de régularisation avec des garanties de succès. Elles pourront ainsi obtenir un permis de séjour ce qui leur donnera des perspectives d’avenir.

L’opération Papyrus comporte un second volet qui satisfait nos revendications : la mise sur pied d’un dispositif d’assainissement des secteurs économiques particulièrement touchés par le travail au noir et la sous-enchère salariale, comme le bâtiment ou l’économie domestique. Ce dispositif va dans le sens d’une réduction des inégalités et de la précarité, il renforce la cohésion et les assurances sociales.

Quelle est l’origine de ce projet ?

Thierry H. : C’est une longue histoire, qui a commencé il y a plus de 15 ans. Le SIT, aux côtés d’autres associations de défense de migrants, a mené d’intenses négociations pour l’aboutissement de ce projet. Il a apporté son expertise et sa connaissance du terrain, acquises aux côtés des nombreuses personnes sans statut légal qu’il soutient et défend depuis des années.

Pouvez-vous donner quelques exemples de cette longue lutte ?

Thierry H. : Dès les années ’80, le SIT s’est engagé en faveur des « victimes » de statuts précaires notamment les travailleurs saisonniers. Puis nous avons mené la lutte pour le droit des enfants des clandestins à être scolarisé. Enfin, nous nous sommes engagés pour défendre les réfugiés de la guerre qui avait éclaté au Kosovo, à la fin des années ’90.

Depuis quand cherchez-vous à obtenir la régularisation des sans-papiers ?

Thierry H. : Depuis 15 ans, la régularisation du statut des familles laissées sur le carreau est notre priorité. En 2001, une trentaine d’associations ont créé le Collectif de soutien aux sans-papiers.

Le SIT est devenu membre de ce Collectif ?

Thierry H. : Oui, et en 2002, il a ouvert deux permanences hebdomadaires pour les travailleurs sans statut légal et a combattu leurs expulsions manu militari. C’est alors qu’il se rend compte qu’une multitude de ces sans-papiers ont travaillé dans le bâtiment ou dans l’économie domestique sans pouvoir valoir leurs droits. Ensuite il convoque plusieurs assemblées générales pour expliquer ses démarches, auxquelles participent près de 2000 personnes.

Quand vous avez déposé la première demande pour une régularisation collective ?

Thierry H. : En août 2003, le Collectif a déposé une demande collective de régularisation de 1353 dossiers au Conseil d’Etat genevois. À cette époque, le Conseil d’Etat admettait qu’il y a un problème concernant l’économie domestique et la politique migratoire. Mais, aucune base légale ne permettait de régulariser des sans-papiers à part la « circulaire Metzler », du nom de la conseillère fédérale de l’époque. Le Conseil d’Etat est partiellement entré en matière ; il a invité le Collectif à déposer tous les dossiers individuels susceptibles d’être régularisés selon les critères restrictifs et discutables de la circulaire Metzler. Cette proposition a été refusée lors d’une assemblée convoquée par le Collectif réunissant 1700 travailleurs concernés.

Que s’est-il passé ensuite ?

Thierry H. : Suite au rapport final de l’étude effectuée par le Laboratoire d’économie appliquée sur le secteur clandestin de l’économie domestique, remis au Conseil d’Etat au début 2005, nos autorités cantonales décident de demander à Berne la régularisation exceptionnelle et unique pour 5000 travailleuses et travailleurs de l’économie domestique. La composition politique du Conseil fédéral et la montée de l’extrême droite xénophobe ont fait que la demande de Genève est restée « lettre morte » !

Comment avez-vous réagi après cet échec ?

Thierry H. : Nous ne sommes pas découragés ! La lutte a continué.

Entre 2005 et 2010, nous avons continué, faut de meilleures solutions, à déposer ses demandes individuelles. Dès 2009, le SIT s’est fortement engagé pour la défense des jeunes sans statut. Faute d’un permis de séjours, ceux-ci ne pouvaient pas signer un contrat d’apprentissage après avoir fini l’école obligatoire à Genève.

Le SIT a toujours gardé confiance dans les autorités cantonales pour pouvoir trouver un jour une solution satisfaisant. En 2010, nous avons à nouveau sollicité le Conseil d’Etat en réaffirmant la demande de régularisation collective des travailleuses et des travailleurs sans-statut légal. Le gouvernement genevois a alors annoncé publiquement sa volonté de relancer la demande de régularisation collective auprès du Conseil fédéral. À Berne, les choses ont commencé à bouger : le Conseil National a adopté deux motions l’une demandant l’accès à l’apprentissage en mode dual pour les « jeunes sans papiers », et la régularisation des travailleurs sans-papiers revient sur le devant de la scène.

Avant Papyrus, aviez-vous obtenu des résultats concrets grâce à vos mouvements ?

Thierry H. : Oui, en juin de 2010, lors d’une AG que le SIT avait organisé à la salle de Faubourg, à laquelle participaient près de mille travailleuses et travailleurs sans-papiers nous avons constaté certains acquis : arrêt des expulsions manu militari pour simple infraction à la loi sur le séjour ; accès reconnu à l’assurance maladie obligatoire et aux assurances sociales ; respect du droit aux allocations familiales ; maintien du droit à l’accès au tribunal des prud’hommes sans risque d’être dénoncés ; stabilisation du secteur de l’économie domestique, condition de travail, accès à Chèque-service ; développement de filières de formation à plein temps pour les jeunes sans-papiers.

Aviez-vous l’impression à ce moment d’être vraiment soutenu par le Conseil d’Etat ?

Thierry H. : Oui. Le 9 février 2011, le Conseil d’Etat a informé le Collectif qu’il était favorable une reprise des négociations avec la Confédération, pour une régularisation des situations retenues après un examen au cas par cas. Quatre mois plus tard, il décidait de constituer un groupe d’experts chargé d’appuyer ses travaux, parmi lesquels figuraient des représentants de l’Etat, des associations, du SIT et du Collectif de soutien aux sans-papiers.

Les travaux effectués entre 2011 à 2016 ont permis de trouver un accord entre les autorités genevoises et les autorités fédérales. Un projet pilote est né qui ne s’écarte pas trop des bases légales, mais qui fixe des critères clairs et objectifs pour déposer une demande de régularisation.

Quels sont ces critères « clairs et objectifs » ?

Thierry H. : Les principaux critères sont l’indépendance financière, un casier judiciaire vierge et la maîtrise de la langue du pays. Pour les familles avec des enfants scolarisés à Genève, la régularisation est possible après 5 ans de séjour et de travail.

Pour les autres catégories, les familles sans enfant scolarisé, les couples sans enfant et les célibataires, il faut 10 ans de séjour et de travail :

Est-ce que le SIT peut aider les demandeurs de constituer leur dossier ?

 Thierry H. : Oui, pour l’opération Papyrus, le SIT ouvrira une permanence des 6 mars 2017, les lundis de 17 à 20 heures ; les jeudis de 14 à 17 heures et les vendredis de 9 à 12 heures. Toutes les personnes intéressées et concernées par le projet Papyrus, peuvent venir à ces permanences.

Qui est chargé de transmettre les dossiers aux autorités ?

 Thierry H. : Le projet Papyrus prévoit que la lourde tâche de la transmission des dossiers aux autorités reviendra aux associations et aux syndicats.

Ce mardi, le 28 février 2017, une assemblée générale d’informations est organisée au Palladium à 20 heures. Lors de cette soirée, le SIT et autres membres de Collectif de soutien aux sans-papiers expliqueront plus en détail le projet Papyrus, vous informeront sur la procédure à suivre et répondront à vos questions. Nous remmetrons également un kit d’information dans plusieurs langues différentes, dont l’albanais. Cette soirée est très importante. Afin que vous ne perdiez pas de temps, nous invitons chacun à se renseigner rapidement pour entreprendre les démarches administratives.

Vu le grand nombre des personnes intéressées, quelles sont vos capacités de traitement des dossiers actuellement ?

Thierry H. : Grace à l’engagement des membres de notre syndicat, le groupe migration de SIT, a déjà reçu un nombre important de bénévoles qui souhaitent nous aider. Potentiellement le SIT peut accueillir, aider et soutenir, grâce à ses permanences, 2000 et 3000 personnes pour la constitution de leur dossier.

 

En tant que secrétaire syndicale au SIT-hôtellerie-restauration dans les années quatre-vingt, en tant que conseiller juridique et social au Centre social protestant et directeur de l’Université populaire albanaise dans les années quatre-vingt-dix et en tant que président du Collectif de soutien aux sans-papiers genevois au début des années 2000, Ueli Leuenberger a fait amplement connaissance avec la réalité des sans-papiers et s’est engagé pendant trente ans pour la défense de ces travailleuses et travailleurs de l’ombre. En tant que parlementaire au niveau communale, cantonale et fédérale il est en maintes reprises intervenu pour leur régularisation. Voilà ce qu’il nous a déclaré brièvement:

«Je suis heureux de cette décision des autorités genevoises. C’est l’aboutissement d’une longue lutte syndicale et associative qui a amené les autorités genevoises de plaider la cause des sans-papiers et de trouver une solution pour celles et ceux qui travaillent depuis de nombreuses années à Genève. Je salue la décision des autorités genevoises. Il faut maintenant que dans d’autres cantons une mobilisation se fasse pour convaincre les autorités d’autres cantons de voir la réalité en face pour suivre l’exemple genevois. La situation des travailleurs sans-papiers est une des plus grandes hypocrisies. Ils travaillent ici parce qu’on a besoin d’eux, parce qu’on a besoin leurs bras, toute en leur refusant un permis. Et une vie dans la dignité. A-t-on conscience de ce que veut dire « vivre la peur au ventre » chaque fois que l’on croise quelqu’un en uniforme ? De ce que veut dire, être exposé à l’exploitation sans droits de se défendre ? De ce que veut dire de vivre dans la crainte de ne plus pouvoir envoyer de l’argent pour soutenir les siens qui vivent dans la misère dans le pays d’origine ? »