France 2016

Avec la Nati ou «Kombëtare»?: le dilemme des Albanais de Suisse

En Suisse, le match de ce samedi va poser un cas de conscience au sein de la diaspora albanaise: qui soutenir? Certains ont un avis tranché, d’autres s’en sortent d’une manière très suisse: la neutralité

 

  • Schmidet e Kombëtares dhe Natit

  • Christian Laich, tifozi që mbështet Shqipërinë

  • Christian Laich me shokun e tij Gani Alijin

  • Familja Schmid në St. Gallen

  • Fitnete dhe Thomas Schmid

  • Bashkëjetesa vazhdon...

  • Linda Arifi

Qui soutenir? C’est la question que se posent de nombreux amateurs de football avant Suisse-Albanie. Certains albanophones de Suisse répondent à cette question sans l’once d’une hésitation: «Je suis avec «Kombëtare» («la Nationale») c’est clair!» Mais trancher sur la question n’est pas si simple. Ne sommes-nous pas les mêmes albanophones qui, avec grande fierté, défilons dans les rues sitôt que Shaqiri, Xhaka, Behrami ou Dzemaili marquent un but pour la «Nati»?

Nous savons bien que les joueurs d’origine albanaise favorisent le renforcement du sentiment d’appartenance à la Suisse des Albanais de la diaspora. Ils contribuent à ce que les secondos se sentent chez eux en Suisse. En contrepartie, dix joueurs albanais sont issus de l’école du football suisse, qui a amélioré de façon significative la qualité de l’équipe nationale albanaise. Chacun a apporté à l’autre. Mais qui soutenir samedi?

Le principe suisse de neutralité

La question divise les membres des familles albano-suisses, car prendre le parti d’une équipe ou de l’autre peut être considéré comme un manque de loyauté envers le pays où l’on vit, ou celui dont on vient. Il s’agit d’un dilemme cornélien, dont la seule échappatoire envisageable semble être d’appliquer le principe suisse de neutralité. Mais cela est-il seulement possible dans le contexte d’un match de football?

«Nous pensons que non», nous répond une famille albano-suisse dont le père, Thomas Schmid, Suisse, se retrouve seul à soutenir la «Nati»: «En fait, observe-t-il, pour les Albanais de Suisse, il s’agit plus de choisir entre deux versions de l’équipe albanaise. Personnellement, je soutiens la Suisse, mais j’espère que l’issue du match sera honorable pour les deux équipes.» Il espère ainsi une victoire 2-1 de la Suisse. Et redoute une défaite de la «Nati». «Cela pourrait déclencher une polémique, les joueurs d’origine albanaise de l’équipe de Suisse pourraient être suspectés de trahison.»

Le fait que mon fils soutienne l’Albanie ne signifie pas qu’il trahit la Suisse. Il ne s’agit que de foot.

Jusqu’ici, les Schmid vivent bien leur situation particulière. «Ma femme est Albanaise, ma famille l’est à moitié, et il serait ridicule que je me fâche avec eux, explique Thomas, le père. Les Albanais sont un peuple émotionnel, et le fait que mon fils soutienne l’Albanie ne signifie pas qu’il trahit la Suisse. Il ne s’agit que de foot. Pour les enfants issus de parents mixtes, ce n’est pas facile de se positionner».

«J’aime la Suisse mais je ne me sens pas obligée de la soutenir en football»

Sa fille Johanna Schmid a pris le parti de l’Albanie car il s’agit de la première qualification de l’équipe en phase finale de l’Euro. Son frère Samuel est lui aussi pour l’équipe albanaise. Leur mère, Fitnete Lala Schmid, qui avant son arrivée en Suisse faisait partie de l’équipe nationale albanaise de tir, se souvient avoir pleuré après la qualification. «Il n’y a néanmoins pas de conflit de loyauté au sein de notre foyer, assure-t-elle. C’est juste une compétition sportive.»

La Suisse est le pays ou je suis née, et j’éprouve à son égard le plus grand respect. Mais en football, je soutiens l’Albanie.

Linda Arifi, 29 ans, née et élevée à Bâle, revendique la même liberté de choix. «La Suisse est le pays ou je suis née, et j’éprouve à son égard le plus grand respect. Mais en football, je soutiens l’Albanie, qui est mon équipe de cœur. J’ai grandi en Suisse, mais j’y ai reçu une éducation albanaise et ne me sens pas obligée de soutenir la Suisse.»

On trouve parfois des cas plus complexes. Ainsi Jetmir Behluli, Suisse d’origine albanaise et étudiant à l’Université de Zurich, préfère voir la Suisse l’emporter parce qu’il dit s’identifier plus facilement à Xhaka et Shaqiri. Au contraire, Christian Laich, Suisse de souche, est fasciné par le style de jeu de l’Albanie. «La première fois, c’était contre le Portugal. L’Albanie n’était pas du tout favorite, mais elle a tout donné. J’ai beaucoup apprécié leur engagement sur le terrain, chose que je ne retrouve chez aucune autre équipe, mis à part l’Atlético Madrid».

«L’Albanie est une vraie équipe»

Selon Christian Laich, ces qualités de cœur font défaut à l’équipe de Suisse, qui «s’apparente à une troupe de mercenaires, où chacun n’est motivé que par ses intérêts personnels. L’Albanie est une vraie équipe, et cela se voit chez les fans, animés d’une folie positive qui me plaît car elle reflète l’âme du football mieux que tout le reste». Pour les mêmes raisons, il est fan du FC St-Gall.

Pour les Schmid, Linda, Christian et Jetmir, le football est un sport qui réunit plus qu’il ne divise. Le soutient qu’ils apportent à telle ou telle équipe est un geste émotionnel de loyauté footballistique, et non pas une obligation patriotique.

letemps5
Article paru dans « Le Temps », dans le cadre d’une opération commune avec « Albinfo.ch »


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