Femmes

Notre priorité n’est pas l’argent mais le développement du Kosovo

Drenusha Shala: « C’est n’est pas la quantité d’argent qui nous importe, mais le fait que parvenions à créer de nombreux emplois et à contribuer au développement de notre pays. La valeur monétaire ne peut rivaliser avec une telle motivation »

Elle passe la moitié de son temps en Suisse, là où elle a grandi et a poursuivi sa scolarité, alors que l’autre moitié elle le passe dans la capitale du Kosovo, Prishtina, ville où depuis 4 ans elle s’investit pour son entreprise.

A ses débuts, elle a démarré avec sept employés alors qu’aujourd’hui elle gère pas moins de 240 employés. Agée de 26 ans, Drenusha Shala a reçu le prix “ Migrante de l’année 2016” et a accepté pour albinfo.ch de revenir sur ses premiers pas. Pour l’occasion, elle évoque notamment  les défis auxquels elle a fait face en raison de la réputation du Kosovo, mais aussi, en raison  des préjugés et des réticences de certains lorsqu’elle s’est décidée à investir  dans un pays d’après-guerre.

Albinfo.ch: Vous avez grandi en Suisse, comment vous est venue l’idée de  faire des affaires au Kosovo?

Drenusha Shala: En 2009, l’un des cofondateurs de “Baruti”, M. Flamur Shala, était stagiaire à la Banque centrale du Kosovo. De retour de son stage de 6 mois au Kosovo, il avait été impressionné par les nombreux germanophones sur place.   En effet, beaucoup de Kosovars parlaient allemand. Au départ, nous n’avions pas  pour objectif principal l’ouverture d’un «centre d’appels». A l’époque, nous cherchions un moyen permettant d’utiliser cette capacité linguistique et ce potentiel en vue de créer beaucoup plus d’emplois au pays.

Avec la même entreprise  vous auriez probablement gagné plus d’argent en Suisse. Pourquoi avoir choisi précisément le Kosovo?

Drenusha Shala: La Suisse est un pays qui offre de nombreuses possibilités, et c’est justement cette raison qui nous a  amené à venir au Kosovo. En effet, au Kosovo, il y a beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas et les connaissances ou le savoir-faire de notre diaspora peut jouer un rôle, c’est précisément pour cette raison qu’elle doit revenir au Kosovo et investir. Il est vrai que la Suisse possède un plus grand potentiel en matière de gain. Toutefois, pour moi c’est n’est pas la quantité d’argent qui  importe, mais le fait que nous parvenions à créer de nombreux emplois et que nous puissions contribuer au développement notre pays. La valeur monétaire ne peut rivaliser avec une telle motivation.».

Au Kosovo, il y a peu de femmes dans le milieu de l’entreprenariat. Etait-ce difficile de venir de la  Suisse pour faire des affaires au Kosovo?

Drenusha Shala: Je ne dirais pas que c’était plus difficile pour moi parce que j’étais une femme. Le Kosovo jouit d’une mentalité et d’une culture européenne et nous ne pouvons pas affirmer qu’il y a une différence de traitement par rapport aux hommes. Sur place, j’avais surtout des problèmes en matière de défis ou de barrières.

Albinfo.ch: Durant votre activité au Kosovo, quels sont les obstacles que votre entreprise “Baruti”  a traverser ? 

Drenusha Shala: L’une des principales barrières, qui a surtout rendu difficile nos débuts, a été la fragilité des infrastructures tels que l’instabilité de l’électricité ou l’accès à Internet. Dans ces secteurs, nous avons investi beaucoup d’argent pour avoir une base fiable sur laquelle  nous pouvions construire “Baruti”. Le deuxième obstacle  concernait l’absence d’une base de données centralisée sur les entreprises au Kosovo permettant de connaître les divers services et produits qu’elles fournissent. Et enfin, le troisième concernait la réputation du Kosovo, mais aussi, le fait que beaucoup de personnes avaient des préjugés et des réticences à investir  dans un pays d’après-guerre.

Une année après, votre entreprise à Prishtina est en pleine croissance. En quatre ans, vous êtes passé de sept employés à 240.  Qu’avez-vous fait pour arriver jusqu’ici ?

Drenusha Shala: Si nous sommes là aujourd’hui, c’est grâce à notre passion et notre volonté, mais aussi, grâce à la conviction que nous pouvions  changer le Kosovo en lui apportant un nouvel esprit de gestion. Au fil des années, nous avons créé une équipe de gestion très stable. Notre cabinet a doublé son  chiffre d’affaires et le nombre d’employés chaque année. Il y a aussi un facteur que je tiens à mentionner ici, car je  pense que cela a contribué à notre succès, c’est le fait que « Baruti » attache une grande importance à l’éducation et au développement de nos employés. C’est point constitue l’essence d’une entreprise prospère.

Que représente le nom de votre entreprise « Baruti » ?

Drenusha Shala: Oui. Le mot “Baruti”, ou en français “poudre à canon”, représente symboliquement notre défense. Cette poudre, durant des siècles, nous a protégés en tant que nation contre l’ennemi. Nous, la jeune génération, cherchons à transmettre comme message l’idée que la poudre d’aujourd’hui pouvant nous protéger n’est plus la poudre à canon, mais celle de l’éducation et de la connaissance.

Quelle expérience avez-vous pu apporter, et en quoi la Suisse vous a-t-elle aidé ? 

Drenusha Shala: La combinaison de trois personnalités différentes avec des connaissances et formations  similaires comme celles de Flamur, de Muhamet et de moi-même, nous a été fort favorable. Chacun de nous a vécu et étudié en Suisse. Nous connaissons très bien le Kosovo et la mentalité du pays mais aussi celle de la Suisse.

Cela nous a apporté un très grand avantage, parce que nous savons de quoi nos clients suisses ont besoin et ce que le Kosovo a à offrir sur le marché international.
Est-ce que votre succès peut être attribué à la mentalité suisse?

Drenusha Shala: La bonne qualité du travail n’est pas une question de mentalité mais de gestion. Nous avons eu de nombreux avantages, puisque nous avons été en mesure de d’étudier et comparer de près les différents leaderships afin de déterminer celui qui  fonctionnait le mieux en Suisse.  Cette qualité-là, nous avons essayé de la transmettre au Kosovo. Le fait qu’il y ait toujours aussi peu d’entrepreneurs ou de concurrence dans notre domaine au Kosovo démontre que la Suisse a son mérite dans notre succès.

Est-ce qu’il y beaucoup d’entreprises prospères au Kosovo qui sont gérées par la diaspora et comment pouvons-nous les aider à prospérer à l’instar de votre entreprise?

Drenusha Shala: Au Kosovo, je connais plusieurs entrepreneurs qui sont rentrés de l’étranger et ont lancé leurs entreprises au Kosovo comme Arizona Partners, IBM Agence, “Giraffe” pour n’en  citer  que quelques-unes.

Que faut-il faire pour que le Kosovo bénéficie d’avantage d’investisseurs?

En matière d’infrastructure, il faut que le Kosovo créer une base stable conforme aux standards européens afin de pouvoir affirmer  que le Kosovo est le  bon endroit pour les investissements. Cela permettrait au pays d’être plus attractif sur le marché international.

Encouragez-vous les hommes et femmes d’affaires de la diaspora à développer des projets au Kosovo?

Drenusha Shala: Absolument. Nous  faisons cela à chaque occasion qui nous est offerte. Que ce soit auprès de notre entourage, amis, partenaires ou collègues tous domaines confondus. A chaque fois, nous expliquons qu’il vaut la peine d’investir au Kosovo. Nous appuyons notre propos en montrant le potentiel et les capacités qu’offre le Kosovo. “Baruti” ouvre ses portes à toute personne/entreprise intéressée à venir nous visiter et prendre le courage se lancer. Nous soutenons les entrepreneurs, et lorsqu’ils ont des questions, nous les aidons volontiers à dépasser  les difficultés des premiers pas.  Nous avons par exemple pu fournir des espaces de travail à de nouvelles entreprises afin de leur faciliter les débuts au Kosovo.

Pensez-vous que Baruti a changé la perception du Kosovo à l’étranger ?

Drenusha Shala: Oui, et je crois fortement à cela. Nous avons jusqu’à présent été 4 fois dans les médias suisses. A ces occasions, nous avons pu  montrer le travail que nous effectuons tout en montrant  comment nos collaborateurs parlent un allemand de qualité. Je pense que nous avons réussi à sensibiliser nos clients sur le fait que  le Kosovo représente un marché à fort potentiel avec une merveilleuse jeunesse.

A chaque fois que nos clients nous rendent visite,  ils ont l’occasion de voir par eux-mêmes et être convaincus par eux-mêmes sur le fait que le Kosovo a du potentiel et qu’il  peut fournir des services de standard international. Ces impressions, ils les emportent avec eux et les partagent par la suite avec leur entourage, leurs contacts et d’autres sociétés.

Vous avez été élu la «Migrante de l’année» par le Ministère de la Diaspora du Kosovo. Que représente cette distinction pour vous? 

Drenusha Shala: Je me sens valorisée et très fière par la remise de cette distinction. Mais ce prix me donne aussi une responsabilité, celle qui m’oblige à ne pas vous décevoir. J’espère que cette marque de respect va nous motiver à créer d’avantage d’emplois et de travaille au pays, ainsi nous pourrons renforcer la légitimer de cette remise de prix.