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“La patrie est là où on vit heureux”

Interviewé par Mirishahe Limani Hiler, le Président du Conseil d'Etat de la République et canton de Genève, Monsieur François Longchamp, évoque des questions politiques et sociales (in)habituelles liées à la communauté albanophone en Suisse, notamment des nombreuses personnes originaires de la Kosove dans le canton de Genève.

  • Photo: Jeton Haziri

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” Être différent n’est ni une bonne ni une mauvaise chose. Cela signifie simplement que vous êtes suffisamment courageux pour être vous-même. ” Albert Camus

Albinfo.ch :  Nos lecteurs souhaitent mieux vous connaître. Qui êtes-vous Monsieur le président?

François Longchamp : J’ai 53 ans et je suis né à Genève, d’une famille qui y vit depuis plusieurs générations. J’ai y fait la plus grande partie de mes études, jusqu’à l’obtention de ma licence à la Faculté de droit de l’Université. J’ai d’abord mené une carrière administrative en devenant secrétaire général du Département de l’action sociale et de la santé. Puis j’ai collaboré, à ses débuts, à l’aventure du Journal “Le Temps” et j’ai ensuite dirigé la Fondation Foyer Handicap jusqu’à mon élection au Conseil d’Etat 2005, que je préside depuis 2013..

” Si tu rencontres un homme de valeur, cherche à lui ressembler. Si tu rencontres un homme médiocre, cherche ses défauts en toi-même.” Confucius

Albinfo.ch :  Quelles sont vos qualités, (vos points forts) et vos défauts (vos points faibles)?

François Longchamp : Je l’ignore !  A moins que la place ne  me manque… tant pour  les unes que pour les autres !

” Mettons en commun ce que nous avons de meilleur, et enrichissons-nous de nos mutuelles différences. ” Paul Valéry

Albinfo.ch :  Savez-vous ce qu’est la Kosove?

François Longchamp: Peu de nos compatriotes avaient entendu parler du Kosovo avant la partition de l’ex-Yougoslavie. Dans un premier temps, l’immigration était surtout saisonnière. Beaucoup ont appris lors de la guerre, dans les années 1980, la complexité de la situation. Le conflit a amené 50’000 personnes en Suisse. Et la Suisse les a absorbées. Cette situation mérite d’être rappelée. Si la Confédération a reconnu le Kosovo en 2008, bien avant beaucoup d’Etats, c’est parce que le Kosovo est une pièce du monde et,  aussi, parce que beaucoup de ses enfants composent désormais la Suisse. Une identité se forge sur un ensemble de valeurs et sur le partage d’une appartenance. Que des footballeurs de l’équipe suisse soient d’origine kosovare n’est pas exceptionnel, c’est naturel. A la fin des années cinquante, ils étaient hongrois.

” La vie ressemble à un conte: ce qui importe, ce n’est pas sa longueur, mais sa valeur.” Sénèque

Albinfo.ch :  Qu’elles sont les valeurs qui caractérisent la société genevoise?

François Longchamp : Le goût de l’effort et du travail. Une capacité volontaire à soutenir la détermination d’un avenir collectif. Je peux citer les Refuges protestants, bien sûr. Plus près de nous, j’évoquerais la décision de détruire les fortifications, au milieu du XIXe siècle. Quelle audace! La décision signifiait: nous ne craignons plus nos voisins.  Nous ouvrons la cité. Aujourd’hui,  elle accueille le cœur du monde. Regardez l’extraordinaire mutation du quartier des Nations, qui commence. On y comptera bientôt 4000 ouvriers. Genève construit aussi un réseau de transports qui baignera la région entière sans préoccupation de frontières. C’est le plus grand chantier de son histoire. Il est en cours. Genève n’a jamais cessé d’avancer, entretenant son économie, ses valeurs, son art de vivre et une certaine idée de l’humanisme qu’elle personnifie, d’ailleurs, aux yeux du monde entier. Qu’il y ait des râleurs pour s’opposer à la marche du monde n’est ni nouveau, ni exclusif, ni essentiel.

” Pour entretenir des amitiés solides, il ne suffit pas d’apprécier nos ressemblances; il faut aussi célébrer nos différences.” James Fredericks

Albinfo.ch :  Quand vous avez rencontré en personne votre premier interlocuteur de la Kosove? Avez-vous tissé les liens d’amitiés depuis?

François Longchamp: C’est en 2001 que j’ai rencontré la première personne qui m’a, dans un cercle privé, expliqué la situation, celle de sa famille et de son pays. J’ai gardé des contacts réguliers avec celle-ci.

Albinfo.ch: Voudriez-vous citer trois noms ou prénoms des personnes que vous connaissez d’origine albanaise des pays des Balkans?

François Longchamp: Mère Teresa, comme tout le monde. Mehmet Ali Pasha. Et Krasniqi… Je ne suis pas expert en football mais il porte, avec d’autres albanophones d’ailleurs, les couleurs suisses. Maintenant que le Kosovo est admis au sein de l’UEFA, certains internationaux devront faire un choix. L’un comme l’autre sera légitime. Quoi qu’ils fassent, la Suisse fait partie de leur ADN, à présent.

” Chaque fois que l’on fait passer nos différences avant nos ressemblances, on met le doigt dans un processus d’affrontement”. Elisabeth Badinter

Albinfo.ch :  Comment évaluez-vous les relations entre les suisses et les kosovars dans le contexte actuel de notre société multiculturelle ?

François Longchamp: Il y a eu un remarquable effort d’intégration et de compréhension mutuelle. Cela a existé lors des grandes immigrations italienne, portugaise et espagnole mais, s’agissant de la communauté du Kosovo, cela n’allait pas de soi car cette population est majoritairement musulmane, autrement dit, de confession minoritaire. Le devoir de la République laïque consiste à veiller au parfait respect de l’ordre juridique et de la paix. La préoccupation d’une communauté intégrée n’est pas différent. Une part de cet effort d’intégration se traduit dans la volonté d’entreprendre. Cela peut paraître anecdotique mais il est significatif d’observer que des kosovars entrés par la petite porte dans le secteur, par exemple, de la restauration, pour faire la plonge, y sont devenu serveurs ou cuisiniers, puis chefs de rang ou de cuisine et qu’ils possèdent ou exploitent aujourd’hui des établissements. Une intégration se mesure aussi à la capacité d’une communauté à éviter le communautarisme. L’entretien des valeurs, de l’histoire, de la culture et de la langue est essentiel et fondateur d’une identité partagée, au sens d’Amin Maalouf. Le danger serait que de tels enseignements soient exclusifs. Tel n’est pas le cas, à ma connaissance.

Albinfo.ch: En quoi les albanophones vivant à Genève doivent-ils faire du chemin encore pour se sentir chez eux?

François Longchamp : Ils sont chez eux dès lors qu’ils se conforment aux règles de la société qui les accueillent, et dans laquelle pour beaucoup naissent aujourd’hui puisque de seconde ou troisième génération, et dans la mesure où ils lui restituent de la substance. C’est une règle universelle que l’histoire propre de Genève a toujours valorisée. Ce canton accueille 41% d’étrangers. Et c’est sans compter les nombreux kosovars naturalisés.

“Le système politique suisse n’est viable à long terme que s’il accorde le droit de vote aux étrangers qui forment une part importante de la population active.” Guy-Olivier Segond.

Albinfo.ch :  Quelle est votre opinion? Un commentaire Monsieur le président, svp?

François Longchamp : Tout ce que j’ai dit va dans le même sens. A Genève, un étranger – ou une étrangère – installé depuis huit ans peut voter dans sa commune. Il lui faut user de ce droit que beaucoup nous envient. Mon parti s’est engagé en ce sens. Mes jeunes collègues au Conseil d’Etat, Antonio Hodgers et Pierre Maudet, ont fait campagne ensemble sur ce sujet, côte à côte. Il est utile de le rappeler car ils n’appartiennent pas à la même formation politique. Cet accord sur un sujet fondamental est intéressant pour deux raisons. D’une part, cela traduit une capacité suisse et genevoise à travailler ensemble sur des sujets de société même quand notre vision peut diverger sur d’autres points. D’autre part, leur jeunesse a permis d’établir la norme et l’évidence du lendemain. Ils gouvernent aujourd’hui dans une société qu’ils ont voulue différente. Depuis lors, le processus de naturalisation a par ailleurs été facilité. Le droit de participer à la vie de la cité est ainsi accessible pour autant qu’on en ait la volonté.

« Une démocratie n’est rien de plus que la loi de la foule, suivant laquelle 51% des gens peuvent confisquer les droits des 49 autres. » Thomas Jefferson

François Longchamp : Churchill disait aussi que la démocratie est le pire système, à l’exception de tous les autres. Il est certain qu’on n’a pas trouvé mieux. La population albanaise du Kosovo a une idée précise, imprimée dans sa chair, de ce que sont une majorité et une minorité, surtout quand la minorité domine. Une majorité, même courte, reste une majorité et la minorité, même forte, l’accepte. C’est le principe fondateur de la démocratie.

Albinfo.ch :  Comment définiriez-vous la démocratie pour les résidents étrangers de Genève qui n’ont pas connu ce système dans leur pays d’origine?

François Longchamp : C’est une chance et un privilège. Ne rejoignez pas la masse des blasés qui ne votent pas, ou qui ne votent plus au motif que ce serait inutile, répétitif ou banal. Non, ce n’est pas banal. C’est une conquête. C’est un droit précieux que des minorités sont parfois tentées de confisquer. Il doit être entretenu. Celles et ceux qui hésitent à le faire, ou qui ne savent pas comment faire, peuvent s’informer auprès de leur entourage et auprès de l’Office cantonal de la population et des immigrations. Je le répète: après huit ans de séjour, on peut voter sur le plan communal.

” Variété c’est ma devise”. Voltaire

Albinfo.ch :  Et votre devise…?

François Longchamp : Il n’y a pas de justice sociale sans liberté humaine. John Rawls n’a rien inventé. Georges Favon l’a exprimé aussi.

“Je n’ai pas de solution: mon objectif, ce n’est pas de construire la société de demain, c’est de montrer qu’elle ne doit pas ressembler à celle d’aujourd’hui.” Albert Jacquard

Albinfo.ch : Comment voyez-vous la société genevoise de demain avec ces dix milles albanophones dans son berceau?

François Longchamp : Dix mille, c’est le nombre des habitants de Genève au temps de l’Escalade. Il y avait déjà beaucoup d’étrangers, notamment ceux qui sont tombés, dont l’histoire personnelle est documentée. Je vois cette société sans difficultés particulière due à la présence des albanophones, pour autant que ceux-ci respectent comme tout le monde, ni plus ni moins et pas autrement, les règles évoquées dans cet entretien. Il leur appartient collectivement d’y veiller. Le monde étant ce qu’il est, toute déviance issue d’une communauté porte finalement à celle-ci préjudice. Le bien-être de la société genevoise, et celui de la communauté albanophone qui en est une composante, parmi d’autres (car cette même règle concerne tout le monde, c’est même l’essence du propos), sont intimement liés par des principes simples de responsabilité partagée.

” Les portes de l’avenir sont ouvertes à ceux qui savent les pousser”. Coluche

Albinfo.ch : Votre message pour la jeunesse suisses d’origine albanaise et les résidents de Genève?

François Longchamp : L’objectif est toujours le même. Participer à la construction collective et à l’entretien de ce qui nous relie, à savoir ce canton et ce pays. L’origine est un paramètre intime. Ce n’est pas une bannière. Le projet, ici, c’est Genève et c’est la Suisse.