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« L’intiatative de l’UDC ‘Contre l’intégrisme religieux’ s’attaque clairement à la communauté musulmane »

Le Président de l’UVAM, Pascal Gemperli, nous livre sa stratégie pour répondre à l’initiative de l’UDC en phase de récolte de signature. Il étaye également l’engagement de l’UVAM contre la radicalisation et des actes de violence des jeunes musulmans dans le Canton de Vaud

Albinfo.ch : La section vaudoise de l’UDC a lancé une initiative «contre l’intégrisme religieux» ? Quels sont les principaux changements que veut introduire ce texte d’initiative ?

Pascal Gemperli: Cette initiative propose d’amender la Constitution vaudoise en rajoutant cinq catégories d’interdiction pour les communautés religieuses reconnues d’intérêt public. Ces interdictions s’appliqueraient seulement aux communautés d’intérêt public et non aux deux Eglises reconnues de droit public, à savoir les églises protestante et catholique. L’UDC craint que les communautés reconnues puissent contraindre les autorités à leur accorder des aménagements particuliers. Concrètement, l’initiative propose d’interdire :

  • une prise en charge particulière dans le domaine des soins
  • des enseignements spécifiques ou des dispenses
  • des jours fériés ou des horaires particuliers
  • des régimes alimentaires spécifiques
  • des dérogations vestimentaires

Albinfo.ch : Comment vous l’analysez, en tant que président de  l’UVAM, mais aussi  en tant que politicien vert (candidat aux élections du Grand Conseil) ?

Pascal Gemperli: Que ça soit en tant que président de l’UVAM ou en tant que candidat aux élections du Grand conseil vaudois, mon analyse reste la même. Sur la forme, cette initiative s’attaque clairement à la communauté musulmane et ceci en pleine campagne électorale, il suffit de lire l’argumentaire de l’UDC qui explique la démarche. Sur le fond, les changements proposés n’ont aucune utilité. Tous les points proposés sont déjà clairement réglés dans le cadre légal actuel. Par exemple, les jours fériés sont définis dans la loi sur le personnel de l’Etat de Vaud. Jusqu’à nouvel ordre c’est le Grand conseil qui modifie les lois vaudoises et non une communauté religieuse d’intérêt public. L’initiative de l’UDC veut interdire des choses qui, dans le régime actuel, sont déjà impossible. C’est donc un non-sens et relève le caractère purement électoraliste de cette initiative.

Un autre problème de cette initiative est qu’elle confond entre libertés individuelles, respectivement leur restriction, avec les droits et devoirs accordés à une association reconnue d’intérêt public. C’est une construction défectueuse.

Albinfo.ch : Vous réagissez de manière critique face à cette initiative, et pourtant elle n’évoque pas l’islam en particulier. Qu’est ce qui vous dérange?

Pascal Gemperli: Par obligation constitutionnelle, à savoir l’interdiction de la discrimination, l’UDC est obligé de mettre en avant le caractère général de cette initiative. Mais l’argumentaire de l’UDC qui explique l’initiative ainsi que les déclarations des responsables du comité de campagne, composé notamment de politiciens UDC, sont très clairs. Je n’ai vue passer aucun article de presse parlant de cette initiative qui mentionne une autre communauté que les musulmans. Ce qui me dérange c’est le caractère discriminatoire et intégriste de cette démarche. Je vous donne deux exemples qui illustrent la vision des membres du comité de campagne :

Kevin Grangier, secrétaire général de l’UDC Vaud, lors d’un récent congrès de l’UDC : « Je m’opposerai toujours et par tous les moyens à la reconnaissance de la communauté musulmane »[1], ceci même si la communauté requérante remplirait toutes les conditions de la reconnaissance comme M. Grangier me l’a confirmé lors d’un échange sur facebook.

Christine Bussat, candidate UDC au Grand conseil pour le district de Nyon lors d’un débat avec moi sur NRTV : « Je veux rendre les musulmans comme les chrétiens, on vit dans une société multiculturelle »

C’est un essentialisme politico-religieux que je juge intégriste et dangereux.

Albinfo.ch : Quelles pourraient être les implications de ce texte dans votre objectif de faire reconnaitre la communauté musulmane en tant qu’association d’intérêt publique dans le Canton de Vaud, en conformité avec le règlement d’application que le Conseil d’Etat a élaboré en 2014?

Pascal Gemperli: La reconnaissance resterait un objectif important pour notre communauté. Elle est indispensable pour mieux organiser notre communauté et pour être un partenaire fiable et professionnel des autorités et des autres communautés religieuses. Etant donné que l’initiative vise clairement la communauté musulmane, les autorités deviendraient possiblement aussi plus réservées quant à notre reconnaissance. Tout pourrait devenir plus compliqué et plus longue, alors que le cadre légal actuel est déjà très clair est très stricte. En revanche, si l’initiative devait être rejetée par le peuple on pourrait le comprendre comme un signe de confiance du peuple envers le principe de la reconnaissance et envers l’UVAM.

Albinfo.ch : Quelle est votre stratégie pour répondre à cette initiative ?

Pascal Gemperli: C’est une stratégie sur trois plans : premièrement, à plusieurs reprises nous avons eu l’occasion d’expliquer notre point de vue dans les medias. Il faut le faire de manière factuelle et posée. Deuxièmement, grâce à notre partenariat fort et la confiance mutuelle que nous avons avec les autres communautés religieuses, ces dernières se sont également manifestées publiquement contre cette initiative. Sans nos importants efforts dans le dialogue interreligieux de ces dernières années et la création de liens très solides, cela ne se serait possiblement pas fait. Nous sommes dans une logique d’entre-aide entre communautés religieuses. Et troisièmement, les belles paroles ne suffisent pas pour créer la confiance. Ces dernières années, l’UVAM a démontré par ses actes qu’elle est pleinement consciente des défis de notre société, y inclut concernant notre propre communauté. L’UVAM est devenu un acteur sociétal ouvert et citoyen, elle veut s’engager pour le bien de toutes les vaudoises et tous les vaudois, toujours dans le cadre de nos moyens limités, malheureusement.

Finalement, selon les dernière nouvelles, l’initiative se décrédibilise d’elle-même. Après trois mois de récole sur quatre au total, seulement 3’000 signatures sur un total de 12’000 nécessaires ont été récoltés. L’initiative se dirige clairement vers un échec.[2]

Albinfo.ch : Que fait l’UVAM pour lutter contre la radicalisation des jeunes musulmans dans le Canton ?
Pascal Gemperli: Je défends une approche de zéro tolérance quant au respect du cadre légal et à la garantie du bien et de la sécurité de notre société. En parallèle, je défends les libertés individuelles, y inclut la liberté de croyance et de pratique religieuse. A titre d’exemple, je défendrais une femme qui veut porter le voile tout comme je défendrais une qui ne veut pas le porter. Dans cette logique et indépendamment de mon avis personnel, je veux laisser aux croyants le libre choix de leur degré de croyance et de pratique. La garantie de ma liberté dépend de celle des autres, les libertés ne peuvent être sélectives tant qu’elles restent dans le cadre légal.

Ainsi, il faut faire la différence entre la radicalisation – dans le sens d’une pratique accrue ou de croyances déviantes de la majorité – et les actes de violences. Nous devons accompagner le premier et prévenir le deuxième. La stigmatisation et l’exclusion de personnes choisissant une voie plus pieuse est contre-productive, ils ont besoin de liens sociaux avec leur proche et de rester entièrement intégrés dans la société, à travers le travail par exemple.

Concernant la déviance religieuse pouvant amener à des actes de violences, c’est un travail en concertation entre les autorités (services sociaux, école, police), les parents et ami/es ainsi que les communautés religieuses. En ce qui nous concerne, nous voulons agir sur les causes, donc :

  • Donner à nos jeunes un sentiment d’appartenance et de respect envers leur propre personne et leur communauté. L’UVAM travaille là-dessus en positionnant notre communauté comme acteur reconnu et respecté de la part des autorités et du public.
  • Accompagner les personnes en difficulté d’insertion sociale ou professionnelle, l’UVAM conduit des projets à cet égard
  • Stimuler la réflexion et donner des repères quant à l’interprétation de l’islam que nous souhaitons pour le Canton de Vaud ainsi que par rapport au terrorisme. Ainsi, nous avons organisé nos Assises annuelles en 2016 sur la question de la radicalisation, le 7 mai 2017 ça sera sur l’Islam vaudois et les attentes envers les mosquées et les imams. Nous nous sommes exprimés souvent et clairement contre toute sorte de terrorisme et de violence.

Nous avons également contribué à des formations sur la radicalisation et formé certains de nos responsables afin d’assurer une bonne compréhension et pour renforcer nos capacités.

En qui concerne l’empêchement concret de la violence, cela reste le travail de la police.

Pascal Gemperli est président de l’Union Vaudoise des Associations Musulmanes (UVAM) depuis 2012. Il est médiateur professionnel, marié et père de deux petites filles. Il siège au Conseil communal de Morges ainsi qu’au bureau du Conseil comme 2ème Vice-président. Pour les élections cantonales du 30 avril, il est candidat pour les Verts dans le district de Morges.

[1] Vidéo disponible sur facebook et auprès de l’auteur de cet article

[2] https://www.rts.ch/info/regions/vaud/8532130-l-initiative-vaudoise-contre-l-integrisme-religieux-prend-l-eau.html