Intégration

« Sans la lutte collective, je ne serais plus ici »

” Je ne remercierai jamais assez toutes les personnes qui ont lutté pour nous. Ce sont nos anges gardiens. ” Tout au long de notre rencontre, Isa Berbati n’a de cesse de rappeler l’engagement héroïque de ceux, les militants, les associations, les syndicats, les églises et les partis politiques du canton de Vaud, qui ont […]

” Je ne remercierai jamais assez toutes les personnes qui ont lutté pour nous. Ce sont nos anges gardiens. ” Tout au long de notre rencontre, Isa Berbati n’a de cesse de rappeler l’engagement héroïque de ceux, les militants, les associations, les syndicats, les églises et les partis politiques du canton de Vaud, qui ont lutté pour la régularisation des 523 réfugiés déboutés issus des Balkans. Pour mémoire, ce vaste mouvement a été lancé le 24 juin 2004 avec la création de la Coordination Asile. Son objectif: contester la décision de la Confédération de renvoyer la moitié des requérants d’asile des Balkans, majoritairement du Kosovo, qui avaient bénéficié de ce qu’on appelait alors à l’époque «l’exception vaudoise». Isa Berbati était l’un d’eux. «Après que le canton, qui avait accepté de revoir les dossiers avec Amnesty International, ait renvoyé mon dossier à Berne, j’ai enfin reçu une réponse positive.» En 2006, Isa Berbati obtient enfin un permis F, puis le B deux ans plus tard. Comme la quasi-totalité des requérants déboutés, grâce à cette mobilisation historique.

Une douleur sans mot Retour en arrière. Dix ans plus tôt, Isa Berbati a 34 ans et un diplôme de juriste en poche qui n’est toutefois pas reconnu par le gouvernement serbe. «Pour un Albanais du Kosovo comme moi, c’était impossible de trouver du travail. Surtout, en étant engagé à la présidence d’un parti du Kosovo, la situation devenait dangereuse dans ce contexte politique extrêmement tendu.» Il choisit l’exil, malgré le déchirement de quitter sa jeune épouse et sa fille alors âgée de 5 semaines. Il ne les reverra que deux ans et demi après, lorsqu’elles arriveront enfin à atteindre la Suisse après plusieurs tentatives infructueuses. «Il n’y a pas de mots pour expliquer ce qu’on ressent. J’ai tout laissé, ma famille, mes amis, ma vie. La rupture émotionnelle était terrible. J’étais ici physiquement, mais mentalement làbas », raconte-t-il. Et pourtant, malgré la douleur, et malgré le rejet de sa demande d’asile, il s’accroche, Isa Berbati.

Affecté au canton de Vaud, il suit très vite des cours intensifs de français. «Mes compatriotes ne comprenaient pas pourquoi je m’engageais autant, puisqu’on pouvait être renvoyé à tout moment. Pour moi, c’était une chance! Même si je devais retourner au Kosovo, je repartirais riche d’une langue», explique- t-il, philosophe. Très vite, il reçoit de nombreux mandats de traducteurs, à la Polyclinique médicale universitaire, auprès de médecins et d’associations.

Une mobilisation vaudoise

Son statut reste pourtant précaire. «Comme pour tous les Kosovars, la Confédération prolongeait de manière collective notre droit à rester en Suisse», rappelle-t-il. «Quand la guerre s’est terminée, à partir de l’an 2000, on a créé le mouvement «En 4 ans, on prend racine». Les autorités voulaient qu’on rentre. Or la vie est beaucoup plus riche que les lois et les règles. Nos enfants étaient scolarisés, nous travaillions, nous étions intégrés. » Une mobilisation couronnée de succès, comme celle, ensuite, des 523…
Son premier retour au Kosovo? «C’était après 10 ans, 1 mois et 11 jours. J’ai compté, car c’était vraiment trop long ! Tout avait changé, les rues et les bâtiments me semblaient plus petits, les enfants, par contre, avaient grandi. Ma maison avait été reconstruite
par mes parents qui, après avoir trouvé refuge en Suisse, étaient repartis.» Depuis, Isa Berbati, qui travaille actuellement comme intervenant en protection de l’adulte (curateur officiel) à Genève, y retourne plusieurs fois par an. «La situation sur place s’améliore, même si ça avance trop lentement. Actuellement avec des revenus moyens de 350 euros par mois et des prix européens, c’est très difficile.»

Spécialiste de la migration

La migration, il l’a connaît pour l’avoir vécue dans sa chair, et aussi étudiée. Dans sa poche, entre autres diplômes, un certificat d’interprète communautaire, et un brevet fédéral de spécialiste de la migration. Son mémoire a porté sur l’encadrement des requérants d’asile à Vallorbe. Lui qui y a travaillé, dénonce une situation indigne: «ORS, l’entreprise privée à but lucratif qui s’occupe de l’accueil, emploie des personnes sous-qualifiées, voire pas qualifiées du tout, et pas bien payées. Il semble que des contrôles vont se faire. Mais l’ODM devrait, à mon avis, être responsable de ces centres.»

Face aux durcissements vis-àvis des requérants d’asile et des immigrés en général, Isa Berbati – qui depuis 2011 a le droit de vote, suite à sa naturalisation – croit encore en la lutte collective. «Si les temps ont changé, je pense qu’un soutien, tel qu’on l’a reçu il y a 10 ans, est encore possible.» Et celui-ci de rappeler sa gratitude: «A l’époque, on a trouvé une porte où frapper. Une politique humaine et réaliste a permis d’entrer en négociation pour une régularisation. Sans la lutte, et sans le canton de Vaud, je ne serais plus là. Je ne remercierai jamais assez.»