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Ardita Dema Mehmeti: ” Une femme albanaise doit faire ses preuves deux fois “

Intervistë, portret mbi lidershipin femëror, decentralizimin dhe integritetin profesional

Ardita Dema Mehmeti, titulaire d’un master en sciences économiques et actuellement vice directrice de l’Association des unités d’autonomie locale (BNJVL) en Macédoine du Nord, est l’une des figures institutionnelles qui incarnent un modèle de leadership clair, stable et fondé sur l’intégrité. En tant que femme albanaise dans un environnement traditionnel et majoritairement masculin, elle parle d’une responsabilité qui va au-delà du titre professionnel, des défis réels du pouvoir local et de la nécessité de réformes structurelles que les citoyens puissent ressentir directement dans leur vie quotidienne.

Ardita Dema Mehmeti avec l’ancienne ambassadrice de la Suisse en République de Macédoine du Nord, Sybille Suter Tejada

Un rôle qui exige plus que des compétences

Ardita Dema Mehmeti ne perçoit pas sa fonction uniquement comme un rôle administratif, mais comme un engagement qui requiert une démonstration permanente de professionnalisme. Elle souligne que, pour une femme, et en particulier pour une femme albanaise au sein des structures institutionnelles, le chemin vers la crédibilité est souvent plus long et plus exigeant.

” Pour une femme, rien n’est facile, surtout lorsqu’elle doit faire ses preuves deux fois, une fois en tant que femme à un poste de responsabilité, puis en tant que femme albanaise. “

Selon elle, ce défi ne l’a pas découragée, mais l’a poussée à s’investir davantage, à travailler avec rigueur et sens des responsabilités, en considérant la correction comme la base de la sérénité professionnelle et de la confiance dans le travail accompli.

La représentation des femmes et la réalité du pouvoir local

En évoquant l’impact de l’identité de genre dans la construction de l’autorité professionnelle, Ardita Dema Mehmeti met en lumière la faible représentation des femmes dans le pouvoir local, en particulier aux postes de direction. Elle rappelle que lors des dernières élections locales, aucune candidate albanaise ne s’est présentée au poste de maire, un fait qui, selon elle, illustre clairement les barrières structurelles et culturelles existantes.

” Le plus souvent, on ne confie pas aux femmes des postes de haute responsabilité; on leur attribue des rôles secondaires, alors que ce sont précisément elles qui accomplissent le travail avec précision et responsabilité. “

Dans ce contexte, elle souligne que les femmes doivent développer une forme ” d’immunité ” face aux préjugés, préserver leur dignité professionnelle et s’exprimer à travers des résultats concrets, car ce sont précisément ces résultats qui constituent l’argument le plus fort dans un environnement où l’égalité n’est pas acquise.

Les communes entre manque de moyens et besoin d’une véritable décentralisation

Une partie essentielle de l’entretien est consacrée à la situation financière des communes en Macédoine du Nord. Ardita Dema Mehmeti explique que les communes disposent de faibles recettes propres et restent fortement dépendantes du budget central, ce qui limite les investissements en capital et le développement économique local. Elle décrit la décentralisation actuelle davantage comme une déconcentration des moyens destinés aux salaires et à l’entretien, plutôt que comme une véritable décentralisation fonctionnelle et fiscale. Dans ce contexte, la BNJVL concentre son action de lobbying et de plaidoyer sur des réformes structurelles, le renforcement des capacités des ressources humaines au niveau communal et l’amélioration des services offerts aux citoyens.

” Sans stabilité et durabilité financières des communes, il est impossible de parler de développement réel et de services de qualité pour les citoyens. “

Elle met en avant la numérisation comme l’un des outils les plus efficaces pour accroître la transparence, améliorer la communication et rationaliser les coûts au sein de l’administration locale.

L’intégrité comme boussole professionnelle

Lorsqu’elle évoque les principes qui la guident dans son travail, Ardita Dema Mehmeti souligne que l’intégrité et la dignité personnelle ne sont pas négociables. Elle estime que même la communication de vérités difficiles, lorsqu’elle se fait avec sincérité et professionnalisme, permet de construire une confiance durable et une culture institutionnelle saine.

” La préservation de l’intégrité et de la dignité personnelles ne souffre aucun compromis. “

Elle relie ce principe au concept du leadership par l’exemple, en soulignant que la responsabilité commence par soi même, aussi bien dans la vie professionnelle que dans la vie familiale.

Pressions, préjugés et équilibre personnel

Dans un environnement multietnique et traditionnel, les pressions et les préjugés sont inévitables. Ardita Dema Mehmeti explique qu’elle a appris à fixer des limites claires, à maintenir une distance professionnelle face aux comportements empreints de préjugés et à ne pas se laisser manipuler.

” Là où il n’y a pas de respect, il faut s’éloigner. Personne ne mérite le mépris. “

Elle associe l’équilibre entre la vie privée et l’engagement professionnel au soutien de la famille, à l’éducation des enfants vers l’autonomie, à la foi religieuse et au temps passé dans la nature, qui restent pour elle des sources essentielles de sérénité et de réflexion.

Réalisations et impact concret pour les citoyens

En revenant sur son travail et celui de son équipe, Ardita Dema Mehmeti met en avant une participation accrue des citoyens à la prise de décision à travers des forums locaux, le budget sensible au genre et des projets qui donnent une voix aux différentes communautés linguistiques. Elle souligne que les services électroniques ont considérablement amélioré l’efficacité et la transparence des communes.

” Aujourd’hui, les citoyens ressentent plus directement l’impact de notre travail, en matière de transparence, de communication et de services plus efficaces. “

Le parcours professionnel d’Ardita Dema Mehmeti démontre que le véritable leadership dans le secteur public ne se mesure ni au volume de la voix ni aux titres formels, mais à la constance, à l’intégrité et à des résultats qui inspirent la confiance. Dans une réalité institutionnelle marquée par de nombreux défis et où le changement demande souvent du temps, son approche représente un modèle mesuré mais persévérant, visant des réformes concrètes et de meilleurs services pour les citoyens.

En tant que femme albanaise occupant un poste de direction, elle considère la responsabilité comme une obligation d’ouvrir des voies, d’élever les standards et de prouver qu’un changement durable n’est possible que lorsque les paroles se traduisent en actions concrètes et honnêtes.

Pour albinfo.ch Luljeta Ademi