Opinion
Macédoine: le changement qui défie le nationalisme
Depuis deux ans, la Macédoine connaît des dynamiques politiques nouvelles en faveur d’un véritable changement démocratique. Ce mouvement vise à déloger le régime politique autoritaire, corrompu et népotiste issu de VMPRO-DPMNE (Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne – Parti démocratique pour l’unité de la nation macédonienne) et qui était au pouvoir depuis 2006. L’opposition macédonienne cherche à aligner le pays dans une direction politique et civilisationnelle européenne, par le biais d’une vision de gouvernance politique transparente, responsable et au service de tous les citoyens du pays. Comme on pouvait s’y attendre, face à ce mouvement de fond, le réflexe de l’oligarchie au pouvoir consistait à jouer la carte du nationalisme, en représentant cette mobilisation politique comme étant orientée contre les intérêts nationaux de la Macédoine et qui aurait été orchestrée par des pays étrangers.
La résistance au changement a connu un nouveau rebondissement ces derniers jours, lorsque le Président actuel, Gjeorgi Ivanov – proche de VMPRO-DPMNE – viola clairement la Constitution en refusant de céder le mandat à Zoran Zaev, leader de la Ligue socio-démocrate (SDSM), soit la deuxième force politique du pays. Le motif invoqué par le G. Ivanov fut l’alliance de la formation de Zaev à une plateforme de partis albanais du pays. Ce consensus, menacerait, selon le premier homme du pays, le caractère unitaire du pays.
Ladite plateforme des partis albanais est en effet mal vue par les politiciens macédoniens nationalistes car elle a été facilitée par les bons offices du Premier ministre d’Albanie en personne, Edi Rama. Elle contient en outre une série de revendications en faveur de cette composante ethnolinguistique albanophone qui avoisine les 30% de la population du pays. Les demandes de cette feuille de route concernent notamment la reconnaissance officielle de la langue albanaise (en conformité avec la réalité socio-démographique du pays ), un partage plus équilibré du pouvoir politique et une péréquation financière plus équitable envers les régions albanophones du pays qui sont fortement précarisées. Contrairement à l’ancien Premier ministre Nikola Gruevski, issu de VMRO-DPMNE, Z. Zaev a réussi, par des négociations sereines avec des partis politiques albanais, à réunir le nombre de députés nécessaire pour former un gouvernement de coalition.
Ce politicien incarne une nouvelle génération de décideurs libéraux et décomplexés, qui cherchent à changer la perception du pouvoir politique et qui veulent à dé-communautariser le pays par une reconnaissance et une valorisation de sa pluralité. C’est la seule figure politique des Balkans qui a osé percer une brèche dans le mur imperméable ethnique, en allant chercher aussi des votes auprès des électeurs albanophones du pays. La Macédoine demeure de nos jours fortement divisé entre les deux principales groupes ethniques slave et albanophone. Le charismatique Zaev vise à unir les différentes composantes sociolinguistique et à offrir ainsi des bases nouvelles et une stabilité à ce petit pays fragile qui a connu, en 2001 une mini guerre civile. Étonnamment, cette courageuse volonté de modernisation et sa perspective politique visant à dépasser le cadre ethnosubstantialiste en Macédoine, ne suscitent que peu d’engouement et de capital de sympathie dans les médias occidentaux.
Force est aussi de constater que cette partie de l’Europe est économiquement sous-développée et très en retard par rapport aux autres pays du vieux continent, y compris ceux de l’ancien bloc de l’Est. Les Balkans, comme région périphérique et dépendante de l’extérieur, constituent un espace où s’articulent des « nouveaux » jeux d’influences, notamment de celui de la Russie, laquelle – en absence d’une réelle présence européenne – investit dans la péninsule et soutient des figures politiques autoritaires et nationalistes. Les changements de leadership aux USA – qui étaient jusqu’ici considérés comme des garants de la stabilité militaire de cette région – et leur isolationnisme annoncé, donnent des ailes aux politiciens nationalistes locaux qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt personnel à ce que la spirale ethnique cesse un jour. En fait, en sachant pertinemment qu’ils devront répondre un jour devant la justice pour leur abus de pouvoir et la mainmise personnelle sur les biens publics, ils saisissent ce contexte pour mobiliser des références nationalistes afin de détourner l’opinion des vraies questions de société. Pour reprendre l’exemple macédonien, alors qu’on soupçonne des hauts responsables politiques issus de VMRO-DPMNE pour le détournement de fonds public portant sur plus de cinq milliards d’Euros, ce fait-là est, éclipsé dans l’opinion occidentale en brandissant le spectre d’éventuelles tensions ethniques à venir dans ce pays et dans la région.
La donne géopolitique et le passé éminemment conflictuel ne doit pas éclipser les dynamiques politiques propres que connaissent les pays de cette région, que ce soit à l’échelle locale ou nationale. Malgré leur vulnérabilité, on ne doit pas non plus adopter une attitude fataliste et à réduire leur rôle à celui de simples pions d’un jeu d’échecs qui seraient joué par les puissants de ce monde. Les actuelles dynamiques qui émanent de l’intérieur des pays des Balkans doivent être valorisées et réellement soutenues par l’Union européenne, laquelle a désormais jusqu’ici davantage agi en tant que pompier. Il est donc temps que la région s’émancipe par un changement en profondeur de sa classe politique et en accordant de vrais pouvoirs à la justice, à la société civile et aux médias. C’est seulement ainsi qu’elle pourra changer l’Histoire et se faire une place respectueuse au sein de la famille européenne.
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