Langues

Langue et culture d’origine, une institution en mouvement 

Et quelle est la situation réelle dans le contexte de l’évolution des générations migratoires des Albanais en Suisse? Nous ne disposons d’aucune éventuelle étude à ce sujet, hormis les résultats d’une enquête que nous avons menée

Dans une étude et un rapport de l’année 2014, édité à Berne par la CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique), il est indiqué que”près d’un enfant sur quatre qui fréquentent l’école primaire en Suisse parle une autre langue dans sa famille que la langue de scolarisation. Et, dans les régions urbaines, cette proportion peut être bien plus élevée encore. Si l’on parle beaucoup des défis que cela pose, tant pour les élèves concernés que pour les écoles et le corps enseignant, il ne faut pas oublier que ces enfants et adolescents portent en eux quelque chose de très précieux : des compétences linguistiques supplémentaires, compétences qu’il s’agit d’encourager. C’est là le but des cours de langue et de culture d’origine, et c’est là le but poursuivi par les autorités scolaires qui soutiennent ces cours par des mesures d’organisation. ”

Mais, pour la LEPA-Suisse, cette conclusion est-elle toujours bien présente ? Et quelle est la situation réelle dans le contexte de l’évolution des générations migratoires des Albanais en Suisse? Nous ne disposons d’aucune éventuelle étude à ce sujet, hormis les résultats d’une enquête que nous avons menée.

Est-ce que les enfants de la troisième génération qui apprennent la langue albanaise dans les cours de langue et culture d’origine (ELCO), sentent la langue parlée avec leurs parents comme leur langue la plus proche ? Diverses études ne permettent pas de l’affirmer. La langue albanaise parlée dans la famille est considérée comme la première langue et elle est ainsi enseignée et promue au sein de LEPA.

Il est difficile de faire la distinction entre première ouseconde langue ! Dans l’évolution des générations migratoires, il est possible, avec le temps, que la première langue parlée dans la famille cède la place, par exemple, à la langue de leur scolarisation dans le pays, de sorte que la langue albanaise prend la deuxième place pour les enfants.

La connaissance et les compétences maitrisées de la première langue parlée dans la famille a toujours exercé une influence positive sur les autres langues enseignées à nos enfants en Suisse, a déclaré la professeure très activedans le canton du Jura, Mme Nexhmije Mehmeti.

Et selon M. Nexhat Maloku, Président de la LEPA-Suisse, différentes enquêtes ont toujours démontré que l’apprentissage de la langue parlée dans la famille comme première langue n’est pas un obstacle à l’apprentissage de la langue du pays de résidence ou d’autres langues étrangères. Au contraire, les enfants qui ont de bonnes compétences dans la première langue parlée, améliorent leur compréhension d’une deuxième langue et augmentent leurs opportunités professionnelles.

La maîtrise de la langue comme un élément fondamental de la culture est certainement une compétence qui exerceune influence positive sur la formation de l’identité personnelle et la possibilité de s’intégrer dans l’environnement social. Mme Nexhmije Mehmeti, compte tenu de son expérience professionnelle, en vient aussi à la conclusion qu’une bonne partie des parents qui appartiennent à la deuxième génération ne recherchentpas particulièrement à ce que leurs enfants apprennent et reconnaissent la langue albanaise comme première langue. Plus précisément, pour quelles raisons souhaiteraient-ils que leurs enfants parlent albanais ? Et avec quels objectifs ?

M. Nexhat Maloku a rapporté que les enfants répondent souvent « Je sais l’albanais ! » Mais les parents, ne sont pas satisfaits des modestes résultats qu’ils constatent chez leurs enfants. L’apprentissage de l’Albanais semble “suffisant” dans l’objectif global de la connaissance de la langue définie. Certains parents considèrent que le résultat est suffisant dès lors que les enfants parviennent à communiquer verbalement avec un interlocuteur albanophone. Par exemple en utilisant les compétences linguistiques pour jouer aux cartes, faire une commande au restaurant, décrire son emplacement dans un environnement particulier, ou encore l’expression et la communication selon les besoins liés à divers événements et situations familiales…

Des chiffres de 2013, sont alarmants : sur l’ensemble du territoire Suisse, la LEPA avait un total de 2’500 élèves sur plus de 250’000 albanophones qui vivent sur le sol Helvétique.

  • Comment aller en avant ?

D’un bref sondage effectué ces jours-ci en Suisse Romande par l’auteure de cet article pour AlbInfo, notamment dans les cantons de Vaud, Jura et Genève,nous apprenons qu’environ 480 élèves, âgés de 7 à 15 ans sont enregistrés cette année dans les cours de langue et la culture d’origine albanaise. Ils suivent 2 ou 3 heures de cours par semaine dans des écoles publiques ou d’autres centres cantonaux, mais toujours en dehors des classes régulières et des horaires scolaires. Engagés dans ces différents cantons pour l’enseignement de l’albanais, 18 enseignants et enseignantes, qui ont terminé leurs études pédagogiques principalement dans leur pays d’origine.

Alors que Mme Nexhmije Mehmeti, convaincue par son engagement professionnel, souligne que de véritablesécoles ne peuvent exister que dans le cadre de l’Etat, le président de la LEPA-Suisse ne voit pas ceci comme une priorité partagée par les membres de bénévoles des comités cantonaux de la LEPA. Chose qui, en réalité, ne justifie en aucun cas leur passivité quant aux missions des association LEPA, relève M. Gëzim Ilazi, secrétaire de la LEPA-Genève.

Connaissant la situation dans les pays d’origine, la LEPA-Suisse en est consciente maintenant et n’a pas d’attentes irréalistes à ce sujet… L’inclusion de la langue albanaise dans le cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, comprendre, évaluer, semble être encore loin pour les Albanais au Conseil européen. En Suisse, le soutien moral des pays d’origine se complète fort heureusement par un appui concret de la part des organismes cantonaux aux associations LEPA qui organisent des cours.

Dans le canton de Genève, par exemple, le financementest assuré majoritairement par le canton et par des dons réguliers. De plus, les communes mettent gratuitement les locaux à disposition. Dans le Jura, tout se fait sur une base volontaire s’appuyant sur les parents dont les enfants suivent les cours à LEPA. La situation n’est pas meilleure dans le canton de Vaud où le financement est très peu pris en charge, tant par les institutions locales que par les Albanais eux même.

Qu’est-ce qui est plus problématique pour une meilleure intégration des enfants à la LEPA ?

Dans tous les cantons francophones des enseignants des LEPA se trouvent face à la première difficulté extrêmement complexe de la composition des élèves dans les classes. L’âge et le niveau linguistique varient d’un enfant à l’autre, ce qui est l’un des facteurs clés qui peut compliquer l’instruction souhaitée par les enseignants et nécessiter un enseignement « à la carte ». Ils sont tenus d’assister à diverses activités de formation professionnelle afin de s’adapter et de comprendre un tel phénomène peuhabituel, en particulier dans l’enseignement primaire.

Cette grande difficulté rencontrée par les enseignants n’est pas toujours entendue et comprise par de nombreux parents et, souvent, les Comités de LEPA dans les cantons ne font pas l’effort nécessaire pour rassurer les familles albanaises qui, déraisonnablement, chargent les enseignants.

Un engagement à la fois sérieux et bénévole dans la société albanaise fait défaut dans beaucoup d’associations. Et les enjeux ne sont pas vraiment pris en compte. Bien que de nombreux parents partagent des ressources pour un fonctionnement correct de l’enseignement albanais, la promotion et la responsabilité retombent au niveau des présidences cantonales de LEPA, dit M. Nexhat Maloku.

Sans oublier l’évolution des générations de la migration albanaise, mentionnée au début de cet article, et la perception de l’importance de la connaissance de la langue albanaise par les enfants de 2ème et 3èmegénération. La LEPA-Suisse a devant elle un champ qui se vide petit à petit et il y a peu d’acteurs pour prendre la relève, s’engager et influencer l’organisation et le dynamisme des Conseils du travail cantonal.

L’apprentissage de la langue d’origine ne doit pas être seulement considéré comme un pont entre les terres albanaises dans les Balkans. La nécessité de sa maîtrisedoit aussi mettre en avant une capacité supplémentaire pour nos enfants qui grandissent avec un amour parental généreux et inconditionnel.

  •  En conclusion

« Nous restons prisonniers de l’image que les langues sont en concurrence les unes avec les autres, mais la recherche démontre le contraire », dit M. Abdeljalil Akkari, Professeur de dimension internationale à l’Université de Genève. Le message que l’apprentissage de deux langues dans l’enfance est un atout, est difficile à faire passer. Et pourtant, à partir d’un certain niveau de maîtrise, il permet alors plus facile d’apprendre d’autres langues. Leproblème est que l’école est encore essentiellement monolingue. Et, justement, la Confédération Helvétique soutient l’apprentissage des langues des pays d’origine des parents.

La LEPA-Suisse et ses associations cantonales doivent prendre leurs responsabilités : une réorganisation sérieuse du fonctionnement doit être entreprise afin de ne pas perdre les avantages de la situation en Suisse et d’assurer la pérennité de l’enseignement dans les cantons.

Si la LEPA n’a pas encore été en mesure de sortir de la chaîne de notre histoire d’instabilité albanaise, jusqu’à présent en Suisse, M. Abdeljalil Akkari nous invite à étudier son argumentation et propose « qu’il faut sortir du modèle bilatéral, lié à un projet de retour au pays ». Une telle dynamique « renforcerait les liens au sein de la société ».