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Le libéralisme suisse, entre citoyenneté active et libertés individuelles
Le Second opus de la réflexion sur le libéralisme menée par l'association albinfo.ch en partenariat avec le Cercle démocratique de Lausanne a permis de mettre en évidence les ambivalences historiques de ce courant de pensée.
Après un premier débat organisé début juin sur l’intégration des étrangers dans les partis de droite, c’est à l’histoire du libéralisme, cette fois-ci, qu’était consacrée la table-ronde organisée le 13 juin dernier par le Cercle démocratique de Lausanne en partenariat avec Albinfo.ch. Plusieurs ouvrages historiques publiés récemment rappellent en effet que la Suisse fut, au début du 19e siècle, un important laboratoire de réflexion de la pensée libérale.
Trois biographies, tout d’abord, mettent à l’honneur ce printemps des personnalités romandes qui, au tournant du siècle des Lumières, initièrent en Suisse, mais aussi à Paris et en Europe, une réflexion destinée à repenser le rôle de l’Etat en faveur des libertés individuelles. Celle du Vaudois Benjamin Constant (1767-1830), grand théoricien du libéralisme, signée par Léonard Burnand, directeur de l’Institut Benjamin Constant, professeur d’histoire moderne et doyen de la faculté des lettres de l’Université de Lausanne. Les Actes d’un colloque dédié à Jean Sismonde de Sismondi (1773-1842), autre grand penseur du début du 19e siècle, genevois celui-ci, édités par la Société d’histoire de la Suisse romande et dirigés par Guillaume Poisson. Et un ouvrage consacré au philosophe, juriste et théologien lausannois Charles Secrétan (1815-1895), sous la plume d’Olivier Meuwly, historien et vice-président du Cercle démocratique de Lausanne. Mais celui-ci est aussi l’auteur de « La Régénération, le libéralisme suisse à l’épreuve du pouvoir (1830-1847)», paru en mai dernier, qui met en scène le contexte politique de ces années cruciales pour la Suisse qui débouchèrent sur la guerre civile du Sonderbund, la Constitution de 1848 et la création de la Suisse moderne.
Questionner nos origines
Quatre ouvrages passionnants sur le libéralisme auxquels il faut ajouter « Mais entrez donc!», le livre du médecin et ancien Conseiller libéral aux Etats Eric Rochat. Il y évoque les cinquante ans de rencontres et d’émotions de sa carrière médicale et les bases de ce qu’est, à ses yeux, le libéralisme social : une liberté, certes, mais une liberté responsable et la capacité à assumer les conséquences de nos décisions.
Le Cercle Démocratique et la Société d’histoire de la Suisse romande a réuni ces auteurs autour d’une table ronde animée par Vjosa Gervalla, directrice de l’association Albinfo.ch. «Car il est essentiel de mettre en avant la question de l’origine et des racines en questionnant l’histoire et la pensée des personnalités du pays d’accueil», estime la modératrice qui n’a par ailleurs pas hésité à aborder les ambivalences du libéralisme: son rapport ambigu à la religion, la place accordées aux femmes ou encore les limites de son action politique.
Droits individuels et action publique
Comment, par exemple, concilier l’exigence de la défense des droits individuels prônée par le libéralisme tout en participant à l’action publique? Ou comment les libéraux du 19e siècle, tiraillés entre le rejet de la religion et leur admiration pour le protestantisme, ont-ils géré cette contradiction?
Certes, les théoriciens de la pensée libérale, Benjamin Constant en tête, étaient méfiants à l’égard du pouvoir. « Mais Constant n’a jamais prôné l’idée d’un individualisme forcené, ni ne s’est fait le porte-parole d’une sorte d’égoïsme ou d’abstentionnisme », affirme Léonard Burnand. « Il a au contraire tenté de réconcilier, à travers le système représentatif, la liberté collective des Anciens, fondée sur la citoyenneté active, et celle des Modernes, basée sur la jouissance de l’indépendance individuelle ». Et si ces derniers ont délégué à leurs représentants une partie de leur pouvoir, ils ne sont pas devenus indifférents à la chose publique pour autant. « Comme nous, qui sommes leurs héritiers, nous devons de garder un devoir de vigilance par rapport aux affaires de l’Etat et constituer une opinion publique responsable, informée, capable de servir de barrage contre les abus », précise Léonard Burnand. Et Guillaume Poisson de rappeler que Jean de Sismondi avait de son côté défendu un temps l’idée, choquante à l’époque, que les débats du Conseil de Genève devaient être publiés et que les citoyens devaient avoir droit à des brochures d’informations.
Le piège de la séparation public-privé
Concernant la question religieuse et la place des femmes, Olivier Meuwly confirme que la séparation entre sphère publique (à priori réservée aux hommes) et sphère privée (traditionnellement assurée par les femmes), si chère aux libéraux de l’époque, les a empêchés de sentir l’évolution du temps. Et ceci bien qu’ils soient entourés de femmes intellectuelles et aient été à l’avant-garde dans de nombreux domaines comme la dénonciation de l’esclavage ou liberté de la presse. Il faudra pourtant attendre Charles Secrétan, homme de la deuxième moitié du 19e siècle, pour plaider pour les droits politiques des femmes.
Quant à la religion, les libéraux de l’époque opéraient aussi une distinction entre la foi, d’ordre privé, et l’institution religieuse, d’ordre public. Et bien qu’opposés à la mainmise du clergé, c’est à la religion qu’ils ont fait appel pour créer une digue morale au libéralisme. « Imprégné par la vision de la société de l’époque, le libéralisme, sur ces questions-là, est resté conservateur et n’a pas évolué assez vite », constate Olivier Meuwly. « Dans sa confrontation au réel, le libéralisme peine parfois à faire des choix et peut devenir ambivalent, d’où les soutiens qu’il a dû trouver dans d’autres courants d’idées – en Suisse le radicalisme – pour gérer ses contradictions».
Un message d’actualité
Guillaume Poisson, lui, voit dans ces ambivalences un processus évolutif: « Le libéralisme n’est pas né en un jour; ces intellectuels n’étaient ni de gauche ni de droite, ils se nourrissaient de diverses influences et tâtonnaient pour trouver le meilleur type de gouvernement ». Un avis partagé par Eric Rochat qui estime que le libéralisme est en changement permanent et que c’est là son essence. Le message de Constant et des autres n’en reste pas moins d’une actualité frappante, selon Léonard Burnand qui rappelle que la crise sanitaire a posé de façon aigue la question des libertés fondamentales de l’individu et de l’immission éventuelle de l’Etat dans la sphère privée.
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Benjamin Constant, par Léonard Burnand, chez Perrin.
Sismondi, les facettes d’une pensée, dirigé par Guillaume Poisson, Institut Benjamin Constant/UNIL – Société d’histoire de la Suisse romande.
La Régénération, le libéralisme à l’épreuve du pouvoir (1830-1847), Olivier Meuwly, Presses polytechniques et universitaires romandes, collection du Savoir suisse.
Charles Secrétan, une utopie libérale, Olivier Meuwly, Infolio, collection Presto.
Mais entrez donc!, Eric Rochat, éditions de l’Aire
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