E-Diaspora

 « Le mauvais temps s’oublie dans une maison d’amie »

Comme moi, mes amis albanais en Suisse, travailleurs immigrés et réfugiés, s’imaginaient la Kosovë, une fois libérée, une fois indépendante, très différente de ce que nous voyons aujourd’hui

Indépendants depuis dix ans, libérés de l’occupant depuis 19 ans, les Albanais ont pleins de raisons de fêter. Après tant de sacrifices, tant d’humiliations, tant de morts, tant de disparus, tant de blessés, tant de larmes, tant de destructions… l’indépendance de la Kosovë a finalement pu être proclamée il y a dix ans.

Ne plus être sous le joug d’une armée, d’une police et d’une administration hostile à la population albanaise majoritaire, nous n’avons pu que saluer cet événement historique de première importance.

J’ai partagé un long parcours de lutte du peuple albanais depuis la fin des années septante, en m’engageant à ses côtés. Depuis bientôt quarante ans, j’ai essayé de contribuer de mon mieux en m’engageant pour les droits nationaux et les droits de l’Homme dans les Balkans et pour les droit des immigrés albanais en Suisse. J’ai fêté avec une très grande joie la libération puis l’indépendance avec la communauté albanaise de Suisse.

Ces dernières quarante anneés, je me souviens surtout, combien de fois « refait le monde ensemble ». Comme moi, mes amis albanais en Suisse, travailleurs immigrés et réfugiés, s’imaginaient la Kosovë, une fois libérée, une fois indépendante, très différente de ce que nous voyons aujourd’hui. Quand je dis différente, je veux dire : plus proche des idéaux qui nous ont guidés dans notre engagement pour la cause albanaise.  La situation actuelle chagrine beaucoup de mes amis, elle me chagrine également.

Je sais que depuis la Suisse, cela peut sembler un peu facile de critiquer les dysfonctionnements, le déficit démocratique, l’autoritarisme, la corruption, le manque d’esprit et d’action pour le bien commun des citoyennes et citoyens de la Kosovë. Au risque de déplaire à certains de mes anciens compagnons de lutte, je ne peux pas me taire en fermant les yeux sur ce qui se passe dans ce pays dont je me sens si proche et dont je continue de porter le peuple dans mon cœur.

Je souhaite à la Kosovë, à son peuple et à ses dirigeants politiques de toutes tendances politiques, de réussir à développer l’économie pour offrir un réel avenir à sa jeunesse en créant des emplois. Je souhaite que les dirigeants de toutes tendances réussissent à renforcer les structures et institutions démocratiques ; qu’ils réussissent à combattre efficacement  la corruption ; qu’ils renforcent les droits sociaux et qu’ils trouvent le chemin et les moyens pour donner aux minorités leur juste place dans la société et dans la vie de tous les jours.

C’est à l’aune des progrès dans ces différents domaines que le renforcement des liens d’amitié et de solidarité avec la jeune République de Kosovë vont se développer.

Que la Kosovë devienne une véritable maison amie pour toute sa population. Car comme  dit le proverbe albanais : « Le mauvais temps s’oublie dans une maison d’amie ».

Au risque de déplaire à certains de mes anciens compagnons de lutte, je ne peux pas me taire en fermant les yeux sur ce qui se passe dans ce pays dont je me sens si proche et dont je continue de porter le peuple dans mon cœur.

 

(Ueli Leuenberger, fondateur de l’Université Populaire Albanaise à Genève ; ancien député à l’Assemblée nationale Suisse)