Opinion

Fuite ou mobilité des cerveaux?

Carte blanche à Bashkim Iseni, politologue, fondateur d’Albinfo.ch.

Il y a quelques jours, le ministre allemand de la Santé a fait savoir qu’il souhaitait pouvoir «récupérer» les médecins et infirmières allemands qui sont venus travailler en Suisse. Il a également émis l’idée d’une nouvelle réglementation européenne contre le «débauchage de spécialistes dans certaines professions». Pour l’année 2017, la Chambre allemande des médecins a recensé plus de 600 praticiens partis travailler en Suisse.

Cette réalité du départ de médecins allemands chez les Helvètes est contrebalancée par un rabattage, depuis plus d’une décennie, des médecins généralistes, des spécialistes, mais aussi du personnel médical infirmier et technique de l’est de l’Europe.

Ce phénomène concerne aussi, dernièrement, des toubibs ou des jeunes spécialistes fraîchement diplômés des facultés de médecine serbes, macédoniennes ou albanaises, qui quittent par plusieurs centaines, chaque année, leur pays d’origine pour parfaire leur formation ou pratiquer leur métier dans les villes et campagnes d’Allemagne.

«Ce phénomène concerne aussi des jeunes spécialistes fraîchement diplômés des facultés de médecine serbes, macédoniennes ou albanaises, qui quittent par plusieurs centaines leur pays d’origine»

Certes, cette solution pallie en partie le vide laissé par leurs confrères allemands. Toutefois, cet appel d’air pour des blouses blanches qualifiées, via des agences de placement proactives sur place, est alimenté par le besoin accru de personnel compétent d’une économie en croissance continue, mais aussi par une réalité démographique, confrontée désormais à une population de plus en plus vieillissante.

Cette forme de migration intra-européenne et internationale de personnes diplômées n’est pas un phénomène nouveau. Ce qui est par contre plus caractéristique, ce sont nos économies ouvertes qui incitent un nombre plus important de cadres médicaux, mais aussi des ingénieurs et des techniciens, à émigrer là où elles offrent de meilleures rémunérations, où elles sont plus productives.

Néanmoins, l’impact, ou la compensation de l’impact de l’émigration des cerveaux ne sont pas les mêmes partout. Par exemple, les pays en transition, moins attrayants, n’arrivent pas à leur tour à combler les places vacantes par des médecins qui viendraient d’ailleurs, ce qui pose un sérieux défi pour la pérennité de leur système de santé, déjà mal au point. Un spécialiste orthopédiste dans la région des Balkans m’affirmait récemment qu’il appréhendait chaque jour des départs-surprises de ses collègues en direction de l’Allemagne, car ils sont en cours d’apprentissage de la langue de Goethe.

Contrairement au problème allemand de médecins qui s’expatrient, la reproduction intergénérationnelle de la force de travail hautement qualifiée peut générer de sérieuses difficultés pour certains pays du Sud-Est européen. En fait, il s’agit de pays vulnérables qui n’arrivent pas à compenser les pénuries engendrées par la mobilité de leurs cadres, sans parler du coût de leur formation et de la perte de compétences, ce qui peut freiner leur transition.

Toutefois, il faut aussi rappeler la dimension positive de la mobilité des cerveaux, qui contribue également à générer des changements favorables dans les pays d’origine, que ce soit sur le plan des systèmes d’éducation, mais aussi de diffusion et d’enchevêtrement des savoirs, sans oublier les rapprochements entre cultures.

(24 heures)