Opinion

Un petit imposteur !

Le 24 février 2022, Mme Micheline Calmy-Rey, ancienne présidente et cheffe de la diplomatie de la Confédération suisse, et M. Guy Mettan, journaliste et ancien président du parlement genevois, étaient les invités du téléjournal de 19h30 de la chaîne Léman Bleu pour parler de la situation créée par l’invasion russe de l’Ukraine.

Les téléspectateurs qui connaissaient déjà le point de vue de M. Guy Mettan, décoré de la « médaille de l’amitié » par la Russie de Vladimir Poutine, ne furent pas étonnés d’entendre ses arguments visant à légitimer l’intervention militaire russe.

Sans surprise, M. Mettan est ainsi revenu sur un sujet qu’il a déjà abordé à maintes reprises : l’intervention de l’OTAN en 1999.

Comme il y a plus de vingt ans M. Mettan continue à nier l’existence du plan « Fer à cheval »,  de nettoyage ethnique du Kosovo, le qualifiant de « montage fait par l’Armée allemande » en fonction « de la propagande pour justifier les bombardements contre la Serbie », tandis que le massacre de 44 civils Albanais au village de Reçak « n’a jamais eu lieu, mais c’était un montage complet… maintenant prouvé et que ça fait 20 ans qu’on le sait, et tout ça a été fait pour provoquer des bombardements ».

Je voudrais d’abord préciser au lecteur que cet article ne prétend pas convaincre un journaliste décoré par l’entourage de Vladimir Poutine car, comme le désigne l’ancien conseiller national suisse, M. Ueli Leuenberger, il est « aveuglé par la propagande des milieux ultra nationalistes serbes et russes ». Je veux seulement éclairer les téléspectateurs sur deux points essentiels de l’argumentaire fallacieux de M. Guy Mettan.

Premièrement, le plan « Fer à cheval », n’est pas un « montage fait par l’Armée allemande », mais bel et bien un projet serbe de nettoyage ethnique du Kosovo. A l’appui de cette affirmation, jeciterai simplement le politicien Serbe Ratomir Tanić, membre de la délégation serbe pour les négociations avec les Albanais du Kosovo, et le journaliste serbe Miroslave Filipovic.

Dans une interview à la Radio Europe Libre, le 7 mars 2001, Ratomir Tanic déclare sans ambages : « Oui, il existait un plan de nettoyage ethnique. Il y avait avant tout un plan de réduction à moins d’un million du nombre des Albanais, pour qu’on puisse ensuite dire qu’il y en avait moins de 50 % et que par conséquent ils n’avaient pas droit à l’autonomie. C’était un projet très clair, de même qu’il existait un plan de nettoyage ethnique.  

Ce n’est pas du tout à des terroristes que nos organes de sécurité ont fait la guerre, c’est à la population qu’ils l’ont faite.  

Slobodan Milosevic et Nikola Sainovic (ancien président de la République de Serbie et vice-président du gouvernement fédéral de la Yougoslavie, condamné par le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie à 22 ans de prison pour ses responsabilités dans les crimes contre des Albanais au Kosovo) agissaient de manière à ce que ‘la guerre contre les terroristes’ se retourne en guerre contre les villages et civils albanais, afin qu’ils soient expulsés du Kosovo, que nous leur prenions les documents d’identité, qu’on les efface des registres, et de pouvoir les présenter comme des Albanais d’Albanie en cas d’éventuel retour des expulsés. »

Un témoignage similaire vient du journaliste serbe, Miroslav Filipovic. Dans un long article il confirme également l’existence du plan Fer à cheval :

« Comment préserver la Yougoslavie et le communisme dans ce pays, et comment éviter l’invasion albanaise. C’est ainsi qu’a été conçu le projet ‘Fer à cheval’, un plan composé d’autant de fers à cheval qu’il y avait de villages albanais.

Ce plan prévoyait de déployer, suivant la forme d’un fer à cheval, des hommes armés autour de chaque village avec ‘l’ouverture’ dirigée vers l’Albanie, et de donner à la population locale un délai de quelques dizaines de minutes afin de quitter leur maison avec leurs affaires les plus indispensables. Ensuite, le village devait être incendié, tandis que les propriétés seraient pillées et détruites.

Au segment ‘ouvert’ du ‘Fer à cheval’, les personnes seraient dépossédées des documents et de leur argent, puis triées. Ainsi, des centaines de milliers de personnes seront expulsées de la Yougoslavie vers l’Albanie. La destruction des maisons et les crimes atroces accompagnant ce plan décourageraient même les personnes les plus décidées à envisager un retour. Et dans le cas où nous serions contraints d’organiser le retour d’une partie de la population albanaise, nous le ferions que pour ceux que nous choisirions ». (Miroslav Filipovic, « Dugi marš ka istini o zlocinima » – Le long chemin vers la vérité des crimes-, Republika, Ogledi, No263).

Je pourrais allonger la liste des politiciens et intellectuels Serbes qui, depuis plus de deux décennies, témoignent publiquement que le plan Fer à cheval était élaboré par Belgrade. Mais cela n’empêchera pas les journalistes aveuglés par la propagande des milieux ultra nationalistes serbes et russes de continuer à diffuser des mensonges.

Secondement, soutenir effrontément que le massacre de 44 civils Albanais au village de Reçak « était un montage complet, prouvé depuis 20 ans » est digne d’une personne décorée par l’entourage de l’ancien agent du KGB Vladimir Poutine.

Pour faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé à Reçak le 15 janvier 1999, l’Union européenne avait mandatée une équipe médico-légale finlandaise, dirigée par Helena Ranta, et constituée par les médecins légistes Antti Pentilla, Kaisa Lalu, Juha Rainio, le personnel technique, des techniciens en criminalistique, des photographes, etc.

Après avoir effectué toutes les recherches nécessaires, le 10 mars 2001, Helena Ranta déclare :

« Avec l’autopsie des corps, les cartouches retrouvées sur le lieu du crime, les investigations sur le fossé où chaque centimètre de terre fut passé à la pelle, à la cuillère et aux détecteurs de métaux (…) ‘l’affaire de Racak’ est le sujet le mieux scruté de l’histoire du Tribunal de la Haye.»

Selon cette enquête minutieuse, « les morts portaient sept ou huit couches superposées de vêtements civils car c’était l’hiver. L’autopsie démontra qu’ils avaient été tués dans ces habits. On récupéra des balles au fond du fossé, sous la surface, là où avaient été retrouvées les victimes. À proximité d’une de ces balles, on trouva aussi une partie d’un corps. Les résultats de l’autopsie à l’hôpital de Prishtina correspondaient à ce qu’on avait découvert dans le fossé : l’homme dont on a retrouvé une partie du corps était couché sur le sol au moment où on tirait sur lui. D’autres victimes présentaient une posture similaire. Il est catégoriquement exclu que les vingt-trois personnes trouvées dans le fossé ont été tuées à un autre endroit. Ils n’ont pas été placés plus tard dans ce fossé et il n’y a eu aucune mise en scène. Les civils albanais ont été tués de près, qu’ils aient été tués d’une distance d’un ou deux mètres n’a aucune importance. De toute façon, ils n’ont pas été tués dans un combat », déclara Helena Ranta.

Malgré que la vérité sur le crime monstrueux contre les civils Albanais de Reçak ait été prouvée par cette enquête officielle, M. Guy Mettan et les négationnistes du même acabit répètent sans vergogne depuis plus de vingt ans la propagande Serbe.

A propos de cette logique qui nie la réalité, l’historien français Yves Ternon nous rend attentif au fait que « le négationnisme désigne l’ensemble des attitudes adoptées et des explications fournies pour nier la vérité d’un génocide. C’est une stratégie de destruction de la vérité et de la mémoire. Le ‘négationnisme’ vise à détruire une certitude par rapport au crime et à introduire le doute sur la réalité du crime. (…) En conclusion, le ‘négationnisme’ constitue l’organisation d’un mensonge en un système dont la fonction est d’éluder une responsabilité directe ou indirecte dans la perpétration d’un génocide ». (Yves Ternon, « La problématique du négationnisme », Revue l’Arche, mai 2003).

 

Bardhyl Mahmuti

Politologue

Vevey, Suisse