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«Lorsqu’une personne abandonne ce qu’elle a de plus cher, ne devrait-on pas croire qu’elle n’avait pas d’autre choix?»

Certains migrants ne sont autorisés à rester en Suisse ni comme réfugiés, ni comme personnes admises à titre provisoire et doivent donc quitter le pays. À l’occasion de la Journée internationale des migrants, la Commission fédérale des migrations publie un rapport et des recommandations concernant les personnes qui sortent du système d’asile. Le rapport de la CFM fournit des indications sur les profils de ces personnes, la manière dont elles vivent après être sorties du système d’asile, les voies sur lesquelles elles s’engagent et les perspectives qu’elles sont à même de développer. En outre, six portraits donnent « un visage » aux intéressés. La CFM a formulé des recommandations en se basant sur l’étude de l’entreprise KEK-Beratung.

Hoshyar explique que dans la ville du nord de l’Irak où il vivait, il arrivait périodiquement que les habitants soient subitement harcelés, menacés, battus ou assassinés par toutes sortes de groupes ou de bandes – quand ils ne disparaissaient pas tout simplement. À l’époque, au début des années 2000, il y régnait un climat d’insécurité, de peur et de violence marqué par l’anarchie et l’arbitraire.Hoshyar, qui essayait de s’en sortir comme mécanicien auto non qualifié, vécut également ce genre d’expériences : régulièrement des inconnus surgissaient dans le garage en posant des exigences auxquelles il ne voulait, ni ne pouvait répondre. Lorsque les menaces furent mises à exécution et qu’il fut séquestré et battu pendant plusieurs jours, ce jeune homme qui avait 18 ans à l’époque, décida de quitter sa famille, sa ville et son pays. Poussé par la peur et l’espoir d’une vie plus sûre et donc meilleure, au terme d’un itinéraire tortueux, il débarqua en Grèce en 2008 où vivaient déjà de nombreux compatriotes. Il n’a pas souhaité s’exprimer de manière trop détaillée sur sa migra-tion à travers l’Europe, mais seulement au sujet d’une chose, qui lui paraît importante : lorsqu’une personne quitte ce qu’elle a de plus cher dans la vie, ses parents, qu’elle chemine de par le monde pour arriver en Grèce, qu’elle s’est fait dépouiller de tout son argent – c’est-à-dire qu’elle renonce au plus important et perd l’essentiel – n’est-il pas possible de la croire lorsqu’elle dit qu’elle a agi par nécessité absolue en quittant son pays ? Et qu’elle ne retournera plus jamais, en aucun cas, dans son pays d’origine ?

Hoshyar essaya de s’installer en Grèce, d’y trouver un travail quelconque et de s’y construire une vie ; mais son plan échoua, ses espoirs furent déçus. Il vivait dans une zone grise et ne pouvait travailler qu’occasionnellement dans un garage automobile, sans salaire régulier. Lorsqu’il était payé, ce qui n’était pas toujours le cas, il pouvait tout juste se payer temporairement le strict minimum. Hoshyar habitait incognito dans le camping-car d’un collègue, sans eau ni électricité, sans installations sanitaires. Il ne craignait certes plus pour sa vie, mais même là-bas, il ne se sentait pas à l’abri de l’exploitation et de la violence, car les gens comme lui ne sont pas protégés – en Grèce non plus. Ainsi, après environ un an, il reprit la route pour la Suisse. Il entendait toujours dire que, là-bas, la loi est appliquée, l’ordre règne et tout le monde, y compris les gens comme lui, ont droit à la protection.

Âgé de 20 ans à peine, Hoshyar déposa une demande d’asile en Suisse. Il vécut deux mois dans un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile, où la première audition eut lieu. En tant que demandeur d’asile, il obtint un permis N, pendant que ses déclarations relatives aux conditions de vie et aux raisons de la fuite étaient examinées. Il n’était pas sûr que tout irait bien désormais. Il suivit des cours d’allemand, travailla dans le cadre de programmes d’occupation et occupa différents emplois occasionnels. Il sem-blait se rapprocher de son objectif de « vivre une vie parfaitement normale », avec un travail, un appartement, un compte bancaire et une carte SIM. Dans le même temps, il se rendit aussi compte que son expérience de mécanicien auto ne lui était pas très utile. En Suisse, les véhicules sont modernes et « bourrés d’électronique », ce qui n’était pas le cas dans son pays. Mais en raison de son statut de séjour lié à une procédure d’asile, la porte de l’apprentissage de mécanicien auto lui resta fermée. Mais dans la maison de retraite où il réalisa tous les travaux possibles et imaginables pendant neuf mois, tout le monde était content de lui. C’est également ce que mentionne le « certificat de travail » présenté fièrement lors de l’entretien.

Après environ quatre ans passés en Suisse, Hoshyar fut convoqué pour sa deuxième audition au SEM à Berne. À vrai dire c’était la troisième, puisqu’il avait dû répondre à d’autres questions au téléphone déjà après sa deuxième année de séjour. En 2015, au bout de presque six ans passés en Suisse et après avoir obtenu son permis de conduire, la décision en matière d’asile lui fut enfin communiquée. Au lieu de l’autorisation de séjour espérée, Hoshyar se vit notifier une décision exécutoire de renvoi, assortie d’un délai de départ. Même le recours qu’Hoshyar avait déposé avec l’aide d’un juriste n’y changea rien. Cependant, de nombreux changements intervinrent sur d’autres plans : Hoshyar perdit son logement, son permis de travail et donc son emploi dans le bâtiment. Il reçut un document par lequel il devait s’identifier à la demande en tant que « demandeur d’asile frappé par une décision d’irrecevabilité entrée en force », qui lui ouvrait droit à la perception hebdomadaire d’un forfait d’aide d’urgence, sur la base de douze francs par jour. Conformément à ce même document, il était tenu de participer à l’obtention des documents de voyage nécessaires au rapatriement dans son pays d’origine. Mais dans le cas de l’Irak, les chances d’obtenir ces documents sont quasiment nulles. Le gouvernement irakien n’autorise le retour de compatriotes sans-papiers que s’ils ont enfreint le droit d’hospitalité du pays de séjour.

Depuis, c’est précisément ce qu’Hoshyar essaie à tout prix d’éviter. Sa demande d’asile a été rejetée au motif qu’il aurait présenté des faux papiers. Pour ce délit, il a été condamné à une amende de 350 francs et à 1650 francs de frais. Il a pu en payer la moitié et a demandé à pouvoir travailler pour solder le reste de sa dette, ce qui ne lui a évidemment pas été accordé.

Hoshyar dit que le travail au noir ne constitue pas une alternative pour lui. De plus, ces activités professionnelles illégales sont généralement effectuées dans de mauvaises conditions. Il ne se sent pas prêt à supporter cela en plus. Lorsqu’il est arrivé en Suisse, il était encore plein d’énergie pour se construire un nouvel avenir. Aujourd’hui, en tant que bénéficiaire de longue durée de l’aide d’urgence, il constate qu’il n’a rien gagné, mais qu’il a tout perdu. Toutes ses possessions tiennent dans deux sacs, qu’il a déposés chez des amis. Il a honte et a peur d’être un fardeau pour eux. Malgré tout, il est reconnaissant de pouvoir dormir ici ou là lorsqu’il fait froid ; le foyer de secours ne constitue pas une alternative à ses yeux, en raison de la consommation excessive d’alcool et de drogues qui y est faite.

Il ne conçoit pas de tenter un nouveau départ dans une autre ville ou même dans un autre pays. Depuis dix ans maintenant, il essaie de prendre pied en Suisse. Il dit qu’il aime la Suisse et s’y sent chez lui – même s’il n’a plus le droit d’y séjourner et qu’il a perdu dix ans de sa vie. Quel que soit l’endroit où il irait, il devrait tout recommencer à zéro, à nouveau investir dix ans de son existence, il aurait ainsi 40 ans et aurait perdu toute sa vie.

Il dit passer le plus clair de son temps seul, sans pourtant avoir de vie privée. Il pense qu’il s’agit là d’une vie attristante, pas seulement à cause de la situation actuelle, mais également de tout ce qui pourrait être et qui reste interdit. Il pense par exemple à son souhait de suivre une formation de mécanicien auto et de fonder une famille. Cet aspect est également compliqué pour lui, parce que le soupçon de la volonté d’acquérir un permis de séjour plane sur ses intentions de relations ou de mariage.

Hoshyar espère qu’il pourra un jour quitter sa vie d’anonymat et que son cas sera réexaminé par d’autres personnes à Berne, qui prendront peut être une décision positive.

Rapport CFM_Personnes sortant du système d’asile_Profils, itinéraires (ou échappatoires), perspectives-1

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